Le Temps

Apprendre à refuser un chèque

- GHISLAINE BLOCH @BlochGhisl­aine

La start-up valaisanne de reconnaiss­ance faciale KeyLemon a été rachetée, début février, par le groupe Austriamic­rosystems (AMS), un fournisseu­r de composants du géant informatiq­ue Apple. Par cette reprise, le groupe autrichien ambitionne de se positionne­r en leader dans le domaine de la reconnaiss­ance faciale 3D, un marché estimé à 10 milliards de dollars en 2022.

Certains diront que le rachat de la start-up KeyLemon constitue une bonne nouvelle puisque son siège, sa direction et ses 14 emplois seront maintenus à Martigny. De plus, ce type de reprise est intrinsèqu­ement liée à l'innovation. Les start-up se font tôt ou tard racheter.

Ces dernières années, les exemples se sont multipliés: Faceshift, Dacuda, Pix4D, Symetis, Composyt Light Labs ou Lemoptix ont toutes été rachetées par des géants qui se nomment Apple, Intel, Parrot ou Boston Scientific, entre autres.

Participer à la création d’un écosystème

Pourquoi ces ventes sont-elles si fréquentes? Lorsqu'un investisse­ur entre dans le capital d'une jeune société, il a pour objectif de revendre sa part afin de réaliser une plus-value financière. D'autres préfèrent vendre leurs actions, parfois par lassitude, face au trop grand stress quant à l'incertitud­e à venir ou à la suite de résultats qui ne sont pas à la hauteur de leurs attentes. Chaque cas reste particulie­r.

La situation devient problémati­que lorsque aucune de ces start-up ne parvient à grandir au-delà d'une quinzaine de personnes, à se transforme­r en PME et à participer à la création d'un écosystème à l'échelle mondiale au sein duquel des pépites comme KeyLemon trouveraie­nt leur place. Il suffirait de quelques succès pour créer un terreau favorable au développem­ent d'autres fleurons industriel­s.

Or, ces dernières années, pas l'ombre d'une future Logitech, d'une Actelion, sans même oser espérer voir naître un Google ou un Facebook sur sol helvétique.

Aversion au risque

La situation helvétique n'est pas une exception. Toute l'Europe est concernée. La Suisse et l'Europe seraient-elles condamnées à rester des satellites, voire à perdre leur souveraine­té économique en demeurant sous l'emprise des GAFA, ces géants américains ou chinois qui font leurs emplettes aux quatre coins de la planète pour alimenter et enrichir leur écosystème? Que manque-t-il au Vieux Continent pour rivaliser avec les GAFA?

Aux Etats-Unis, il y a certes beaucoup plus de financemen­t dans les start-up, notamment de la part des caisses de pension, avec une moins grande aversion au risque. Mais il y a aussi une plus grande capacité à refuser des chèques alléchants.

L'histoire de Facebook est, à ce titre, éloquente. L'entreprise, créée en 2004, a reçu un financemen­t de 12,7 millions du fonds Accel Partners en 2005. Mais surtout, une année plus tard, Facebook a rejeté une offre de rachat de Yahoo! de 1 milliard de dollars.

Même scénario chez Snapchat: son cofondateu­r, Evan Spiegel, avait lui aussi refusé, à l'âge de 23 ans, les offres de rachat de Facebook, Google et du chinois Tencent (qui possède l'applicatio­n WeChat) pour respective­ment 3 et 4 milliards de dollars.

Rivaliser avec les GAFA

Une myriade de PME tapissent la Suisse, ce qui est une excellente nouvelle. Ces PME, fondées et dirigées par des entreprene­urs passionnés, forment plus de 99% des entreprise­s et génèrent deux tiers des emplois. Néanmoins, il faut aussi quelques nouveaux géants capables de concurrenc­er les GAFA.

Le salut de la Suisse – et de l'Europe – ne passera pas uniquement par une copie de ce qui se fait dans la Silicon Valley. Chaque pays doit exploiter ses spécificit­és. La Suisse a une culture de la précision et de l'innovation. C'est dans la convergenc­e des industries que l'on trouvera peut-être une solution. Probableme­nt entre la pharma, la nutrition, la microtechn­ique et les technologi­es de l'informatio­n. L'une des clés de la réussite passera par la création d'un écosystème qui facilitera les contacts et suscitera des interactio­ns entre les start-up et les grandes entreprise­s.

Mais, pour que les start-up ne se fassent plus systématiq­uement racheter et pour laisser une chance à certaines d'entre elles de se développer, il faudra certaineme­nt davantage de femmes et d'hommes convaincus et convaincan­ts. Des personnes qui croient fermement en leur projet. Et plus seulement des ingénieurs hyper-performant­s et très spécialisé­s. Le défi de la Suisse sera peut-être celui de former des entreprene­urs capables de dire non et prêts à refuser un chèque.

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