Le Mercosur effraie les paysans suisses
Berne veut signer rapidement un accord de libre-échange avec l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay. Ce traité ouvrirait aux industriels un marché de 275 millions de consommateurs, mais le monde agricole craint la concurrence de ces pays
Quelle place l’agriculture suisse doit-elle occuper dans les futurs accords bilatéraux de libreéchange que la Suisse négocie avec d’autres pays? Devrait-elle se sacrifier, afin que les exportateurs industriels puissent obtenir un plus large accès aux marchés?
Ces questions sont au coeur d’un sommet que préside le conseiller fédéral chargé de l’Economie, Johann Schneider-Ammann, ce mardi à Berne, en présence de divers acteurs de l’économie suisse.
La rencontre est organisée dans un contexte où la Suisse tient à signer un accord de libre-échange avec le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay), un marché de 275 millions de consommateurs, mais aussi une puissance exportatrice de viande, de céréales et de fruits. Dès lors, les conséquences pour le marché agricole suisse sont l’un des enjeux principaux.
Le sommet agricole aura toutefois lieu sans les organisations paysannes suisses. Ces dernières craignent le démantèlement de l’agriculture suisse et dénoncent le manque de transparence dans les négociations.
Les paysans boycottent aussi ce sommet à la suite du refus du conseiller fédéral de les rencontrer au préalable et en bilatéral. «Je regrette que l’association des agriculteurs ait refusé le dialogue, a déclaré le conseiller fédéral dans une note envoyée au Temps. Cela contredit les règles de base de notre démocratie. Qu’il soit dans l’intérêt des agriculteurs suisses que leur association ne participe pas à l’élaboration de la future politique agricole, ce n’est pas à moi de le juger.»
«Démantèlement de la protection douanière»
Jacques Bourgeois, directeur de l’Union suisse des paysans (USP), ne décolère pas. «Nous ne nous opposons pas par principe à la négociation de nouveaux accords bilatéraux, dit-il. Mais nous dénonçons les bases sur lesquelles le gouvernement veut mener les discussions.»
Ces bases, c’est un document intitulé «Vue d’ensemble du développement de la politique agricole», présenté en novembre dernier. Selon Jacques Bourgeois, il ne fait pas de doute que ce rapport prône le démantèlement de la protection douanière en Suisse.
«Dans un pays où entre trois et quatre exploitations agricoles disparaissent chaque jour et où le revenu paysan se situe autour de 45000 francs par année, l’ouverture du marché suisse représente la mort de l’agriculture indigène», poursuit le directeur de l’USP. Par ailleurs, il accuse la Confédération de ne pas respecter le vote populaire du 24 septembre dernier en faveur d’un article constitutionnel garantissant la sécurité alimentaire dans le pays.
Jacques Bourgeois relève que la Suisse importe déjà plus de 40% de sa nourriture. «Rares sont les pays dans le monde qui présentent une dépendance vis-à-vis de l’étranger aussi importante. La protection douanière actuelle ne nuit à personne.»
Course entre l’UE et la Suisse
Pour la Confédération, la signature de cet accord de libreéchange est pourtant une priorité. D’autant plus que l’Union européenne (UE) est à bout touchant pour signer avec le même groupe de pays. «Si cela arrivait, la pharma, l’industrie des machines et d’autres secteurs seraient tout de suite désavantagés, a averti Johann Schneider-Ammann début décembre, en marge de la Conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à Buenos Aires. Il y aurait un risque de déplacement des places de travail pour l’économie suisse.»
En effet, c’est la course entre l’UE et la Suisse: Bruxelles a entamé les négociations avec le Mercosur en 1999 et la Suisse – avec les pays de l’Association européenne de libre-échange (Norvège, Islande, Liechtenstein) – l’année suivante.
Economiesuisse réclame des réformes agricoles
Johann Schneider-Ammann peut par contre compter sur le soutien d’economiesuisse. Dans un message publié le mois dernier dans la revue de l’organisation patronale, Jan Atteslander, membre de la direction, affirme que les entreprises exportatrices helvétiques seraient pénalisées par rapport à la concurrence européenne si Bruxelles atteint son objectif avant la Suisse. Dans un tel scénario, elles continueraient de payer un droit de douane allant de 7% à 35% sur les produits industriels, alors que les exportations européennes en seraient exemptées.
Pour le dirigeant d’economiesuisse, Berne n’a pas à hésiter face au défi que représente un accord UE-Mercosur. «La Suisse est le pays qui, après la Norvège, protège le plus ses produits agricoles aux frontières, poursuit-il. Il n’y a aujourd’hui aucune raison de reporter des réformes attendues de longue date.»
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«L’ouverture du marché suisse représente la mort de l’agriculture indigène»
JACQUES BOURGEOIS, DIRECTEUR DE L’UNION SUISSE DES PAYSANS (USP)