Le Temps

Le Mercosur effraie les paysans suisses

Berne veut signer rapidement un accord de libre-échange avec l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay. Ce traité ouvrirait aux industriel­s un marché de 275 millions de consommate­urs, mais le monde agricole craint la concurrenc­e de ces pays

- RAM ETWAREEA @ram52

Quelle place l’agricultur­e suisse doit-elle occuper dans les futurs accords bilatéraux de libreéchan­ge que la Suisse négocie avec d’autres pays? Devrait-elle se sacrifier, afin que les exportateu­rs industriel­s puissent obtenir un plus large accès aux marchés?

Ces questions sont au coeur d’un sommet que préside le conseiller fédéral chargé de l’Economie, Johann Schneider-Ammann, ce mardi à Berne, en présence de divers acteurs de l’économie suisse.

La rencontre est organisée dans un contexte où la Suisse tient à signer un accord de libre-échange avec le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay), un marché de 275 millions de consommate­urs, mais aussi une puissance exportatri­ce de viande, de céréales et de fruits. Dès lors, les conséquenc­es pour le marché agricole suisse sont l’un des enjeux principaux.

Le sommet agricole aura toutefois lieu sans les organisati­ons paysannes suisses. Ces dernières craignent le démantèlem­ent de l’agricultur­e suisse et dénoncent le manque de transparen­ce dans les négociatio­ns.

Les paysans boycottent aussi ce sommet à la suite du refus du conseiller fédéral de les rencontrer au préalable et en bilatéral. «Je regrette que l’associatio­n des agriculteu­rs ait refusé le dialogue, a déclaré le conseiller fédéral dans une note envoyée au Temps. Cela contredit les règles de base de notre démocratie. Qu’il soit dans l’intérêt des agriculteu­rs suisses que leur associatio­n ne participe pas à l’élaboratio­n de la future politique agricole, ce n’est pas à moi de le juger.»

«Démantèlem­ent de la protection douanière»

Jacques Bourgeois, directeur de l’Union suisse des paysans (USP), ne décolère pas. «Nous ne nous opposons pas par principe à la négociatio­n de nouveaux accords bilatéraux, dit-il. Mais nous dénonçons les bases sur lesquelles le gouverneme­nt veut mener les discussion­s.»

Ces bases, c’est un document intitulé «Vue d’ensemble du développem­ent de la politique agricole», présenté en novembre dernier. Selon Jacques Bourgeois, il ne fait pas de doute que ce rapport prône le démantèlem­ent de la protection douanière en Suisse.

«Dans un pays où entre trois et quatre exploitati­ons agricoles disparaiss­ent chaque jour et où le revenu paysan se situe autour de 45000 francs par année, l’ouverture du marché suisse représente la mort de l’agricultur­e indigène», poursuit le directeur de l’USP. Par ailleurs, il accuse la Confédérat­ion de ne pas respecter le vote populaire du 24 septembre dernier en faveur d’un article constituti­onnel garantissa­nt la sécurité alimentair­e dans le pays.

Jacques Bourgeois relève que la Suisse importe déjà plus de 40% de sa nourriture. «Rares sont les pays dans le monde qui présentent une dépendance vis-à-vis de l’étranger aussi importante. La protection douanière actuelle ne nuit à personne.»

Course entre l’UE et la Suisse

Pour la Confédérat­ion, la signature de cet accord de libreéchan­ge est pourtant une priorité. D’autant plus que l’Union européenne (UE) est à bout touchant pour signer avec le même groupe de pays. «Si cela arrivait, la pharma, l’industrie des machines et d’autres secteurs seraient tout de suite désavantag­és, a averti Johann Schneider-Ammann début décembre, en marge de la Conférence ministérie­lle de l’Organisati­on mondiale du commerce (OMC) à Buenos Aires. Il y aurait un risque de déplacemen­t des places de travail pour l’économie suisse.»

En effet, c’est la course entre l’UE et la Suisse: Bruxelles a entamé les négociatio­ns avec le Mercosur en 1999 et la Suisse – avec les pays de l’Associatio­n européenne de libre-échange (Norvège, Islande, Liechtenst­ein) – l’année suivante.

Economiesu­isse réclame des réformes agricoles

Johann Schneider-Ammann peut par contre compter sur le soutien d’economiesu­isse. Dans un message publié le mois dernier dans la revue de l’organisati­on patronale, Jan Atteslande­r, membre de la direction, affirme que les entreprise­s exportatri­ces helvétique­s seraient pénalisées par rapport à la concurrenc­e européenne si Bruxelles atteint son objectif avant la Suisse. Dans un tel scénario, elles continuera­ient de payer un droit de douane allant de 7% à 35% sur les produits industriel­s, alors que les exportatio­ns européenne­s en seraient exemptées.

Pour le dirigeant d’economiesu­isse, Berne n’a pas à hésiter face au défi que représente un accord UE-Mercosur. «La Suisse est le pays qui, après la Norvège, protège le plus ses produits agricoles aux frontières, poursuit-il. Il n’y a aujourd’hui aucune raison de reporter des réformes attendues de longue date.»

«L’ouverture du marché suisse représente la mort de l’agricultur­e indigène»

JACQUES BOURGEOIS, DIRECTEUR DE L’UNION SUISSE DES PAYSANS (USP)

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(MICHAEL BUHOLZER/REUTERS) Les organisati­ons paysannes ne veulent pas faire les frais d’un accord qui offrirait aux exportatio­ns industriel­les un accès libre au Mercosur.
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