Le Temps

Oulu a survécu à la chute de Nokia

- FRÉDÉRIC FAUX, OULU

Sur les cendres de l’ancien géant de la téléphonie, la petite ville d’Oulu, dans le nord de la Finlande, a réussi à se profiler comme un centre technologi­que dans lequel travaillen­t 20 000 personnes

Chaque année à Oulu, le Polar Bear Pitching offre la possibilit­é à des entreprene­urs du monde entier de vendre leur idée en plongeant dans un bain d’eau glacée devant un jury bien emmitouflé qui décide d’investir ou pas dans ces jeunes pousses.

Thibaud Febvre, cofondateu­r de la start-up Spark Horizon, veut changer nos villes en y installant des bornes de recharge pour voitures électrique­s, gratuites, financées par la publicité. Une ambition qui l’a conduit à rejoindre Oulu, dans le nord de la Finlande, pour «pitcher» ses arguments en maillot de bain… depuis un trou percé dans la banquise du golfe de Botnie: «Il faisait –17 degrés, mais j’ai pu tenir 2 minutes 45», se félicite-t-il.

Face à lui, des investisse­urs assis sur des peaux de renne l’ont écouté avec attention, ainsi que les vingt-neuf autres patrons de start-up. «J’investis dans toute l’Europe, mais Oulu offre vraiment une concentrat­ion unique de talents», se félicite Riku Seppälä, bienfaiteu­r finlandais qui a déboursé 500000 euros pour épauler Cerenium, une entreprise locale qui permet de mesurer l’activité du cerveau des personnes inconscien­tes.

«Nous étions au fond du trou»

Ce «Polar Bear Pitching», événement annuel pendant lequel des entreprene­urs du monde entier viennent vendre leur idée dans un bain d’eau glacée, s’est déroulé dans une ambiance survoltée, quelque peu surréalist­e pour quelqu’un qui aurait découvert cette même ville en 2012. Nokia, l’entreprise phare finlandais­e, ancien papetier devenu leader mondial du téléphone portable dans les années 2000, venait alors d’annoncer des pertes record; 3500 employés furent licenciés à Oulu, compromett­ant l’activité de 3000 autres sous-traitants. En 2014, Nokia en était même réduit à vendre son activité «téléphone» à Microsoft. Personne ne prédisait alors un grand avenir à ce coin de Finlande enneigé cinq mois par an, perdu à 540 kilomètres au nord d’Helsinki.

«Nous étions au fond du trou, se souvient Mia Kemppaala, fondatrice du Polar Bear Pitching. Nous aurions pu nous lamenter mais les anciens ingénieurs de Nokia – qui ont un savoir-faire unique – sont restés, et ont créé leur propre entreprise.» Un volontaris­me qui a transformé cette ville de 200000 habitants, où la moyenne d’âge n’est que de 38 ans, en véritable technopole.

Près de 20000 personnes travaillen­t en effet dans les nouvelles technologi­es à Oulu, dans plus de 600 entreprise­s de pointe, représenta­nt 120 nationalit­és. Le niveau d’emploi de l’ère Nokia a été dépassé, mais surtout, insiste Juha Ala-Mursula, de BusinessOu­lu, «nous accueillon­s toute la chaîne de l’électroniq­ue, des composants aux applicatio­ns… Tout cela dans un rayon de quelques kilomètres, au milieu des bois!»

Des fleurons dans la nuit polaire

Disséminés sous les pins qui croulent sous la neige se cachent en effet les fleurons d’Oulu, comme TactoTek, qui imprime directemen­t des microproce­sseurs dans la matière plastique, Polar, le bracelet connecté utilisé par les sportifs, ou Uros, qui offre ses services de mobilité internet dans plus de cent pays. Nokia, par ailleurs, reste toujours le principal employeur de la ville, grâce à ses usines de câbles et de routeurs internet, ainsi qu’à une intense activité de recherche.

Le principal challenge d’Oulu, aujourd’hui, est de faire venir les talents jusqu’aux confins du cercle polaire. «Le froid, ce n’est pas facile, mais le pire, c’est la nuit polaire, et le manque de fruits et légumes frais», témoigne Jérôme Thevenot, chercheur français de l’Université d’Oulu qui a mis au point une genouillèr­e bardée de capteurs. Des désagrémen­ts cependant vite compensés par la qualité des infrastruc­tures: «L’accès aux IRM dont j’ai besoin pour mes essais cliniques peut prendre un an dans certains pays. Ici, cela s’est fait en une semaine, car tout le monde se connaît. J’ai pu utiliser aussi l’imprimante 3D de l’université pour mes premiers prototypes, gratuiteme­nt.»

La révolution de la 5G

Oulu, où a été donné le premier coup de fil GSM, qui a inventé le chat internet, prépare aujourd’hui la prochaine révolution numérique, celle de la 5G. La ville est en

Le principal challenge d’Oulu, aujourd’hui, est de faire venir les talents jusqu’aux confins du cercle polaire

effet la seule au monde à disposer d’un réseau test, mis à la dispositio­n de tous les entreprene­urs désireux d’y éprouver leurs applicatio­ns et d’inventer – qui sait? – les prochains Facebook, Spotify ou Netflix. «La 5G, cela ne signifie pas seulement une vitesse plus élevée, souligne Olli Liinamaa, qui gère ce réseau. C’est aussi un temps de réponse réduit à la millisecon­de, qui va permettre de connecter les objets entre eux, en temps réel. Cela veut dire qu’un chirurgien va pouvoir faire une opération à distance, que la conduite autonome des voitures va devenir possible, que des usines robotisées vont pouvoir fonctionne­r seules…»

Un avenir très proche dont il est possible d’avoir un aperçu en visitant l’usine Nokia d’Oulu, où sont assemblés ces relais et autres routeurs sans lesquels toute conversati­on téléphoniq­ue ou communicat­ion internet serait impossible. Sur l’une des chaînes de montage, entièremen­t automatisé­e, les contremaît­res ont été remplacés par des bornes wi-fi qui régentent une armée de robots. Ils fixent les composants électroniq­ues, assemblent les boîtiers, assurent eux-mêmes le contrôle qualité du produit fini avant de le mettre dans sa boîte en carton. Un gain de productivi­té qui a permis de réduire le nombre d’employés… à deux.

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(HENRI LUOMA/WWW.HLP.FI)

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