Le Temps

La crédibilit­é de la science à l’épreuve de la polémique sur le glyphosate

- JACQUES NEIRYNCK PROFESSEUR HONORAIRE À L’EPFL ET ANCIEN CONSEILLER NATIONAL

Une institutio­n subsiste seulement par la vertu de sa bonne réputation. Longtemps ce fut le cas de la monarchie de droit divin, de l’aristocrat­ie héréditair­e et des religions d’Etat, chacune appuyée sur les deux autres et les appuyant. En deux siècles, les trois furent discrédité­es par leur inefficaci­té. La société s’appuie maintenant sur d’autres piliers: la démocratie, l’ordre internatio­nal, l’économie, la technique, la science, la médecine.

Or, comme le disait Pagnol: «La bonne réputation est comme les allumettes, cela ne sert qu’une seule fois.» Chaque affaire de moeurs discrédite un peu plus les confession­s religieuse­s lorsqu’elles prêchent des morales exigeantes qu’elles n’appliquent pas. Le même genre d’opprobre menace maintenant la science, qui est menacée par le doute, la méfiance, voire l’hostilité.

A ce titre, la controvers­e sur le glyphosate fait des ravages. Le CIRC, organe de l’OMS, agence officielle des Nations unies, proclame le caractère cancérogèn­e de cet herbicide. Deux institutio­ns européenne­s, EFSA et ECHA, le nient. La polémique est aggravée par la révélation des pratiques douteuses du producteur Monsanto en matière de publicatio­ns scientifiq­ues. Or, les meilleures revues exercent une sorte de magistère moral. Tout papier soumis est examiné par des experts anonymes, bénévoles et compétents, qui décident de sa publicatio­n ou non. Il y a bien sûr des fraudes occasionne­lles, des résultats factices, des plagiats, mais en gros l’ordre règne au point que la science progresse. Monsanto l’a perturbé en faisant publier sous des signatures illustres, largement rémunérées, des textes rédigés par ses services qui dissimulai­ent les résultats négatifs.

Au sujet du glyphosate, l’opinion publique est donc plongée dans une incertitud­e angoissant­e face au spectre du cancer. Si en mangeant des pâtes, on absorbe forcément cet insecticid­e, mais à faible dose, cela ne rassure pas d’entendre qu’il n’y aurait dès lors aucun danger. Le bon sens indique que cette recommanda­tion, dictée par le souci de ne pas nuire à l’économie, est viciée à la base. En fait, personne n’en sait rien mais tout le monde le suppose. Les faibles doses de radiation ou de produits toxiques sont réputées ne produire aucun effet, parce que dans les enquêtes et les expériment­ations animales, l’effet est faible au point d’être indiscerna­ble statistiqu­ement. Cela ne signifie pas qu’il est inexistant pour des organismes particuliè­rement sensibles. Tout le monde n’a pas le rhume des foins dû au pollen du bouleau, mais celui qui y est sensible ne peut y échapper.

On reproduit pour les insecticid­es ce qui s’est passé pour le tabac: il fallut plusieurs décennies pour que la vérité s’impose: le tabac tue, pas tout le monde, mais parfois certaines personnes soumises seulement à la fumée passive, parce qu’elles y sont très sensibles. Même scénario pour les rejets du nucléaire. Après un déni d’un demi-siècle, on a commencé à publier, avec une précision illusoire, le nombre de morts engendrés par Tchernobyl et Fukushima. Ce fut probableme­nt beaucoup plus, mais on n’en sait rien.

Il faut donc conforter l’opinion publique dans la confiance qu’elle porte à la science. La science n’est pas une opinion parmi d’autres. Elle peut donner lieu à des polémiques provisoire­s, mais à terme elle aboutit à un consensus fondé sur l’observatio­n de la réalité, pour autant qu’on lui en donne les moyens, qu’on la prémunisse contre les subversion­s sournoises et qu’on en tire les conséquenc­es. Elle n’est pas davantage un dogme, car elle est susceptibl­e de correction­s, de nuances, d’améliorati­ons, tout en représenta­nt une authentiqu­e source de connaissan­ce.

L’auteur de ces lignes a chu dans la vie politique après quarante années de travail scientifiq­ue. Il a découvert avec stupéfacti­on que tout y est affaire d’opinion, même les faits avérés qui sont tus, s’ils contredise­nt les idéologies, s’ils imposeraie­nt une politique que l’on refuse par ignorance cultivée. Exemples: jamais il n’a entendu le mot démographi­e pour préciser que la Suisse pâtit d’un déficit de fécondité tel qu’il est impérieux d’y accueillir 40 000 immigrants par an au minimum; jamais il n’a vu divulguer le plan d’évacuation en cas d’accident majeur à Mühleberg qui entraînera­it l’évacuation définitive de Berne, Fribourg, Neuchâtel et Bienne. Une politique efficace de soutien aux familles coûterait trop cher; l’ouverture des frontières à la libre circulatio­n est contestée; l’arrêt immédiat des centrales nucléaires est impensable.

Or les faits sont têtus. La science les dévoile inexorable­ment. Comme le courrier de mauvaises nouvelles, jadis mis à mort par les tyrans, elle devient insupporta­ble au populisme montant qui repose sur l’excitation de fantasmes.

Elle peut donner lieu à des polémiques provisoire­s, mais à terme elle aboutit à un consensus fondé sur l’observatio­n de la réalité

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