La crédibilité de la science à l’épreuve de la polémique sur le glyphosate
Une institution subsiste seulement par la vertu de sa bonne réputation. Longtemps ce fut le cas de la monarchie de droit divin, de l’aristocratie héréditaire et des religions d’Etat, chacune appuyée sur les deux autres et les appuyant. En deux siècles, les trois furent discréditées par leur inefficacité. La société s’appuie maintenant sur d’autres piliers: la démocratie, l’ordre international, l’économie, la technique, la science, la médecine.
Or, comme le disait Pagnol: «La bonne réputation est comme les allumettes, cela ne sert qu’une seule fois.» Chaque affaire de moeurs discrédite un peu plus les confessions religieuses lorsqu’elles prêchent des morales exigeantes qu’elles n’appliquent pas. Le même genre d’opprobre menace maintenant la science, qui est menacée par le doute, la méfiance, voire l’hostilité.
A ce titre, la controverse sur le glyphosate fait des ravages. Le CIRC, organe de l’OMS, agence officielle des Nations unies, proclame le caractère cancérogène de cet herbicide. Deux institutions européennes, EFSA et ECHA, le nient. La polémique est aggravée par la révélation des pratiques douteuses du producteur Monsanto en matière de publications scientifiques. Or, les meilleures revues exercent une sorte de magistère moral. Tout papier soumis est examiné par des experts anonymes, bénévoles et compétents, qui décident de sa publication ou non. Il y a bien sûr des fraudes occasionnelles, des résultats factices, des plagiats, mais en gros l’ordre règne au point que la science progresse. Monsanto l’a perturbé en faisant publier sous des signatures illustres, largement rémunérées, des textes rédigés par ses services qui dissimulaient les résultats négatifs.
Au sujet du glyphosate, l’opinion publique est donc plongée dans une incertitude angoissante face au spectre du cancer. Si en mangeant des pâtes, on absorbe forcément cet insecticide, mais à faible dose, cela ne rassure pas d’entendre qu’il n’y aurait dès lors aucun danger. Le bon sens indique que cette recommandation, dictée par le souci de ne pas nuire à l’économie, est viciée à la base. En fait, personne n’en sait rien mais tout le monde le suppose. Les faibles doses de radiation ou de produits toxiques sont réputées ne produire aucun effet, parce que dans les enquêtes et les expérimentations animales, l’effet est faible au point d’être indiscernable statistiquement. Cela ne signifie pas qu’il est inexistant pour des organismes particulièrement sensibles. Tout le monde n’a pas le rhume des foins dû au pollen du bouleau, mais celui qui y est sensible ne peut y échapper.
On reproduit pour les insecticides ce qui s’est passé pour le tabac: il fallut plusieurs décennies pour que la vérité s’impose: le tabac tue, pas tout le monde, mais parfois certaines personnes soumises seulement à la fumée passive, parce qu’elles y sont très sensibles. Même scénario pour les rejets du nucléaire. Après un déni d’un demi-siècle, on a commencé à publier, avec une précision illusoire, le nombre de morts engendrés par Tchernobyl et Fukushima. Ce fut probablement beaucoup plus, mais on n’en sait rien.
Il faut donc conforter l’opinion publique dans la confiance qu’elle porte à la science. La science n’est pas une opinion parmi d’autres. Elle peut donner lieu à des polémiques provisoires, mais à terme elle aboutit à un consensus fondé sur l’observation de la réalité, pour autant qu’on lui en donne les moyens, qu’on la prémunisse contre les subversions sournoises et qu’on en tire les conséquences. Elle n’est pas davantage un dogme, car elle est susceptible de corrections, de nuances, d’améliorations, tout en représentant une authentique source de connaissance.
L’auteur de ces lignes a chu dans la vie politique après quarante années de travail scientifique. Il a découvert avec stupéfaction que tout y est affaire d’opinion, même les faits avérés qui sont tus, s’ils contredisent les idéologies, s’ils imposeraient une politique que l’on refuse par ignorance cultivée. Exemples: jamais il n’a entendu le mot démographie pour préciser que la Suisse pâtit d’un déficit de fécondité tel qu’il est impérieux d’y accueillir 40 000 immigrants par an au minimum; jamais il n’a vu divulguer le plan d’évacuation en cas d’accident majeur à Mühleberg qui entraînerait l’évacuation définitive de Berne, Fribourg, Neuchâtel et Bienne. Une politique efficace de soutien aux familles coûterait trop cher; l’ouverture des frontières à la libre circulation est contestée; l’arrêt immédiat des centrales nucléaires est impensable.
Or les faits sont têtus. La science les dévoile inexorablement. Comme le courrier de mauvaises nouvelles, jadis mis à mort par les tyrans, elle devient insupportable au populisme montant qui repose sur l’excitation de fantasmes.
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Elle peut donner lieu à des polémiques provisoires, mais à terme elle aboutit à un consensus fondé sur l’observation de la réalité