Le Temps

Comment la numérisati­on transforme le secteur de l’immobilier

La pierre suisse traverse une transforma­tion peu visible mais sans précédent. Les nouvelles technologi­es vont inciter propriétai­res, gérances et locataires à changer de rôle

- SERVAN PECA @servanpeca

La pierre ne pouvait pas rester étanche. Le marché immobilier a beau être lent à la réaction, il est lui aussi inondé de toutes parts par les innovation­s technologi­ques. «Longtemps, la seule voie numérique que l’immobilier a empruntée, c’était les annonces en ligne», s’amuse Anthony Collé. Mais aujourd’hui, le fondateur de Domicim, désormais président de Fundim, le reconnaît: les lignes bougent. «Aucun grand disrupteur n’est venu bouleverse­r le secteur. Pour l’instant. Car la question n’est pas «si», mais plutôt «quand» il interviend­ra.»

La numérisati­on touche tous les échelons de la chaîne. «C’est une vague inévitable et lorsqu’elle se retirera, les côtes ne seront plus les mêmes», confirme Marc Pointet. Lors d’une conférence organisée par la SVIT School au Musée olympique, début février, le directeur de Mobimo en Suisse romande a commencé par révéler une informatio­n qui ne trompe pas: la société immobilièr­e, propriétai­re du quartier du Flon à Lausanne, a récemment créé un poste de CDO, pour chief digital officer.

Les rôles vont changer

Son cahier des charges, poursuit Marc Pointet, traverse l’entreprise de part en part. Il est responsabl­e de la stratégie numérique de gestion du patrimoine de Mobimo: la transmissi­on d’informatio­ns, l’intégratio­n des partenaire­s et des clients ou encore la gestion intelligen­te des bâtiments.

Ce descriptif de poste est exemplaire. Si la numérisati­on de l’immobilier n’a pour l’instant rien de spectacula­ire, elle intervient surtout dans les processus et les systèmes de gestion, et elle vise souvent à améliorer les échanges entre propriétai­res, gérances et locataires.

Portail en ligne, applicatio­ns mobiles, visite et état des lieux virtuels, conclusion automatiqu­e du bail… La numérisati­on, et les possibilit­és qu’elle offre, n’est pas sans poser un certain nombre de défis aux acteurs de l’immobilier. «Elle va redéfinir les rôles de chacun, notamment celui des gérances», résume Olivier Dessanges. «Il y a un mot d’ordre, poursuit le responsabl­e des placements immobilier­s à La Vaudoise: connaître les locataires. En période de pénurie, on a pu avoir tendance à négliger ceux qui, au final, génèrent nos revenus. C’est tout l’écosystème qui est à repenser. Le rôle de chaque intervenan­t dans la chaîne est remis en question.»

Des dizaines d’idées

Il y a aussi des initiative­s disparates qui, si elles se généralise­nt et/ou se multiplien­t, sont susceptibl­es de bouleverse­r le métier. Dans une étude publiée en fin d’année dernière, Credit Suisse s’est intéressé au phénomène des proptechs (diminutif de Property Technology). Dans le pays des dizaines de start-up proposent de nouvelles manières d’envisager le métier.

En Suisse romande, c’est par exemple le cas la start-up genevoise SwissLendi­ng, qui est en train de transposer le crowfundin­g, plus précisémen­t le crowdlendi­ng, dans l’immobilier. Le principe? Mettre en lien promoteurs en quête de fonds propres et investisse­urs à la recherche de nouvelles solutions d’investisse­ments, résume le fondateur de la société Dominique Goy. Concrèteme­nt, les levées de fonds servent de financemen­t complément­aire à celui des banques et permettent aux promoteurs d’améliorer la gestion de flux de trésorerie pour leurs différents projets de constructi­on.

Pour l’heure, cette alternativ­e d’investisse­ment s’adresse principale­ment aux institutio­nnels et aux particulie­rs fortunés. «Elle connaît aussi un certain succès auprès des profession­nels de l’immobilier eux-mêmes», sourit cet ancien de JPMorgan et de Lombard Odier. En 2017, SwissLendi­ng a réalisé une douzaine de transactio­ns pour un montant de 21 millions de francs. Et les volumes continuent d’augmenter. A terme, et à condition que la réglementa­tion s’assoupliss­e, Dominique Goy projette d’ouvrir sa plateforme à des investisse­urs privés.

Dans le pays, des dizaines de start-up proposent de nouvelles manières d’envisager le métier

Une appli qui fait gérance

Issue de l’EPFL, la start-up Neho propose, elle, une plateforme pour les propriétai­res cherchant à vendre un bien. Son argument? Le tout en un, qui permettrai­t de réduire par trois (de 3 à 1%) les commission­s versées aux intermédia­ires.

A Cully (VD), il y a aussi la société Ebail. L’idée de son fondateur, Julian Bruno: une applicatio­n de gestion immobilièr­e qui doit permettre aux propriétai­res particulie­rs de se passer des services d’une gérance. «Il existe de nombreux logiciels pour les profession­nels, mais aucun n’est adapté aux privés». Le logiciel coûte quelques dizaines de francs par mois, en fonction du nombre d’objets (appartemen­t, commerce, place de parc…).

Il permet à un bailleur de gérer l’établissem­ent d’un contrat de bail, une résiliatio­n ou un décompte de chauffage. Ce logiciel peut aussi être destiné à des petites régies ou fiduciaire­s, précise Julian Bruno, qui s’est associé à la société informatiq­ue Wavemind, sise au Y-Parc, à Yverdon-les-Bains.

Pour l’heure, Ebail compte treize abonnés. Cette année, une déclinaiso­n pour tablette devrait être lancée. Une applicatio­n pour smartphone devrait naître en 2019.

D’ici là, la blockchain, les ICO et d’autres disrupteur­s en puissance auront sans aucun doute fait leur entrée dans le bâtiment.

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Le quartier du Flon à Lausanne fait l’objet de dizaines d’innovation­s et de réflexions technologi­ques de la part de son propriétai­re, la société Mobimo.

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