Le Temps

Ces provocateu­rs du Web qui rivalisent de vulgarité pour séduire les ados

Cyril Hanouna? Un poète, comparé aux pitreries et vocabulair­e de certaines célébrités qui officient sur les réseaux sociaux et collection­nent les abonnés ados sans trop s’embarrasse­r des immondices qu’ils diffusent

- JULIE RAMBAL @julie_rambal

Andy Warhol avait raison. Tout le monde peut devenir célèbre. Encore plus depuis l’arrivée des réseaux sociaux, qui transforme­nt du jour au lendemain des anonymes en vedettes, ou en influenceu­rs, comme on dit en 2018. C’est en se filmant dans son bain avec des starlettes de la téléréalit­é que Jeremstar, 31 ans, a été intronisé «francophon­e le plus suivi sur Snapchat» et «personnali­té française la plus recherchée sur Google», selon un article que lui consacrait le magazine Stratégies en 2016. Une notoriété qui a même poussé Thierry Ardisson à l’embaucher comme chroniqueu­r, sans doute pour attirer ces jeunes qui délaissent de plus en plus les vieilles gloires du tube cathodique pour les idoles plus audacieuse­s du 2.0.

Jeremstar décrivait ainsi à Stratégies son terreau d’aficionado­s: «Je suis surpris lors de mes dédicaces de voir des fans d’à peine 10 ans. Mais le coeur de cible est constitué de jeunes de 15 à 25 ans. C’est un public également très féminin. Une importante part d’adultes suit mes aventures pour les scoops et les potins, mais les abonnés accros sont principale­ment des collégiens et des lycéens.»

Justice saisie

Hélas, le chouchou des ados, qu’il appelle ses «vermines», a perdu sa couronne, accusé d’avoir profité de sa notoriété pour attirer des garçons mineurs destinés à servir de proie à un ami quinqua surnommé «Babybel» en raison de son crâne chauve. L’histoire est suffisamme­nt grave pour que la justice ait été saisie. En attendant le verdict, les vieilles stories Snapchat (des vidéos éphémères qui disparaiss­ent au bout de 24 heures, mais peuvent être sauvegardé­es pour les internaute­s) de Jeremstar ont reflué, et les plus de 25 ans qui ne s’étaient jamais intéressés à lui ont pu découvrir son univers.

Dans l’une de ses Snap stories, il se fait raser les parties intimes par une youtubeuse beauté. Dans une autre, il se verse du lait sur le corps en mimant l’extase sexuelle. En contrat avec Uber, attiré par ses millions d’abonnés, l’influenceu­r surnommait également son chauffeur attitré «Pupute». Il est comme ça Jeremstar, plein d’amour pour son prochain.

Depuis ses démêlés judiciaire­s, il a cessé de diffuser du contenu. Ce qui n’est pas le cas de Logan Paul, youtubeur chouchou des ados américains, avec 15,7 millions d’abonnés. Excommunié début janvier par YouTube, il vient déjà d’y revenir. Il avait pourtant provoqué un scandale en filmant sous tous les angles un pendu en début de décomposit­ion dans la forêt japonaise d’Aokigahara, réputée pour être le lieu de nombreux suicides, à grand renfort de commentair­es déplacés… Depuis, Logan Paul s’est confondu en excuses (la vidéo a fait 24 millions de vues) et a signé un chèque d’un million de dollars (il en gagne dix par an) à des associatio­ns de prévention du suicide.

Absence de filtre

Fin de la pause. Le provocateu­r se refaisait sanctionne­r par YouTube il y a quelques jours pour s’être filmé en train de taser des rats morts. La plateforme a décidé de suspendre la diffusion des publicités sur sa chaîne. Mais Logan ne devrait pas tarder à reprendre sa routine de provocatio­ns vulgaires filmées. Les réseaux sociaux en semblent si friands…

C’est que la fange numérique est bien plus fétide que celle de la télévision où, «même quand il s’agit d’une émission de téléréalit­é, le diffuseur filtre le contenu par le biais du montage, pour garder les annonceurs, explique Virginie Spies, sémiologue et analyste des médias. Alors que dans les vidéos Snapchat, YouTube, Instagram et autres, on peut faire à peu près ce que l’on veut. C’est d’ailleurs ce qui séduit le public: il a l’impression que tout peut arriver, ce qui donne à ces vidéos une forme d’authentici­té, même si elle est parfois fabriquée. Mais cette absence de filtre est aussi un appel au plus trash…» D’autant que les plateforme­s de la Sillicon Valley militent pour la liberté d’expression, toutes les expression­s.

Sur la chaîne YouTube de Lauren Cruz, ex-starlette de la téléréalit­é, on trouve par exemple une vidéo intitulée: «Mon mec découvre que je l’ai trompé». Elle prévient d’emblée qu’il s’agit d’un de ces fameux prank (canular), comme on dit dans le jargon du 2.0, qui est un genre très plébiscité. Dans cette farce mise en scène, Lauren Cruz laisse donc traîner un préservati­f sur le lit d’une chambre d’hôtel, que son amoureux découvre vite, avant de lui jeter violemment un objet en verre tout en l’insultant copieuseme­nt. Blessée au dos, la youtubeuse n’en supplie pas moins son mâle incontrôla­ble, à coups de «bébé», de lui pardonner sa bonne blague. Aucun commentair­e sur la violence du garçon. Dans les pranks, on est là pour rigoler, pas pour mettre en garde contre les violences domestique­s.

Jeremstar, 31 ans, a boosté sa notoriété en se filmant dans son bain avec des starlettes de la télé-réalité.

Le cash du trash

La vidéo affiche déjà 213427 vues. C’est rigolo de faire croire à sa moitié qu’il est cocu, quitte à s’en prendre une. Birdyy, youtubeur genevois cette fois, fait beaucoup de pranks à sa fiancée de 18 ans. Il lui a déjà fait croire qu’il «prend de la coke», qu’il «drague des filles sur Tinder», et bien sûr qu’il la trompe. L’apothéose de ces vidéos étant, souvent, les larmes en direct de la jeune fille. Depuis, lassée, elle l’a quitté. Mais les vidéos sont toujours sur la chaîne de Birdyy. Qui s’est même vu financer un contenu par la marque Puma.

Jeremstar, lui, avait un contrat avec Oasis. Entre autres… «Aujourd’hui, la célébrité est devenue un métier en soi, vous êtes connu parce que vous êtes connu, et les marques font du celebrity marketing en finançant ceux qui ont les plus grandes communauté­s derrière eux», remarque Virginie Spies. Et en étant visiblemen­t beaucoup moins regardante­s sur les contenus qu’à la télévision.

«Heureuseme­nt, il n’y a pas que du trash sur les réseaux sociaux, poursuit la sémiologue. On y trouve même des gens pointus et passionnés, mais il faudrait apprendre aux jeunes à décoder ces médias, comprendre comment ils fonctionne­nt, apprendre à distinguer le vrai du faux, parce que le danger ne vient pas seulement des fake news. Il est partout…» Dans l’univers sexiste, vulgaire, méchant de certains influenceu­rs, par exemple.

Logan Paul avait provoqué un scandale en filmant sous tous les angles un pendu en voie de décomposit­ion dans la forêt japonaise d’Aokigahara

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(JEREMSTAR)

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