La fin du roaming pour faire passer la pilule européenne
Parmi les nouveaux accords bilatéraux avec l’UE qui pourraient intéresser la Suisse, le conseiller fédéral Ignazio Cassis évoque la fin du roaming. La stratégie politique est rusée, sa réalisation semble toutefois épineuse
Ignazio Cassis laisse entrevoir la fin des tarifs exorbitants payés par les Suisses qui utilisent leur portable dans l’UE. Ceci afin de mieux vendre un futur accord-cadre avec l’Europe
La stratégie est désormais claire. Pour faire accepter un nouveau grand accord bilatéral à des Suisses sceptiques, il faut leur faire miroiter des avantages concrets. Au début de ce mois, Ignazio Cassis a ainsi évoqué le roaming, ou itinérance, parmi les domaines qui pourraient être couverts par un futur accord «d’accès au marché» entre la Suisse et l’Union européenne.
Le roaming, ce sont ces frais exorbitants payés par les abonnés suisses lorsqu’ils utilisent leur téléphone portable dans l’UE. En 2010, la facture comprenant appels vocaux et SMS s’élevait à 925 millions de francs. L’an dernier, malgré une nette baisse des tarifs, c’était encore 523 millions de francs. Un accord permettant aux Suisses d’économiser de grosses sommes chaque année représenterait un bon argument de campagne en faveur d’un nouvel accord bilatéral.
Mais il y a plusieurs hic. Swisscom et les grands opérateurs actifs en Suisse se sont toujours opposés à la fin du roaming et préconisent d’attendre que les prix baissent encore. Le temps que Berne et Bruxelles s’entendent pour négocier sur ce terrain – et rien ne dit que l’UE soit intéressée à ce stade –, le problème du roaming pourrait avoir quasiment disparu.
Reste que le fait de mettre cet argument sur la table en dit long sur la politique européenne d’Ignazio Cassis. Une série de négociations terre à terre éclipsent les vastes architectures politiques dont rêvaient ses prédécesseurs.
Un appât séduisant pour le citoyen en vue de la campagne en faveur d’un nouvel accord bilatéral
Le Conseil fédéral entre dans le vif du sujet en matière de politique européenne. Il planchera une nouvelle fois ce mercredi sur sa stratégie lors d’une séance spéciale. Avec un objectif très concret: identifier les accords bilatéraux que la Suisse souhaite conclure dans le futur.
C’est la nouvelle approche du chef du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), Ignazio Cassis. Ce dernier veut voir dans l’accord institutionnel en cours de négociation avec l’UE uniquement un outil, un marchepied vers de nouveaux traités sectoriels. «Que voulons-nous, sachant que l’accord-cadre n’est pas un but en soi mais un moyen pour avoir accès au marché? Sommes-nous toujours intéressés par un accord sur l’électricité? Quel accès souhaitons-nous pour quels services?» interrogeait le ministre PLR face à la presse le 31 janvier dernier.
Même si la Commission européenne répète depuis des années qu’elle ne conclura pas de nouvel accord sectoriel avec la Suisse avant une entente dans le domaine institutionnel, le DFAE souhaite mener une discussion exploratoire sur un hypothétique paquet de bilatérales III. Ignazio Cassis a luimême nommé cinq secteurs qui pourraient intéresser la Suisse: électricité, services financiers, santé, culture et roaming.
500 millions de chiffre d’affaires par an
Le dernier nommé, le roaming, est sorti du chapeau du Tessinois au début du mois. Et ce n’est pas un hasard: nombre de Suisses qui se rendent à l’étranger connaissent bien le risque de voir leur facture de téléphonie exploser. En 2016, selon les statistiques de l’Office fédéral de la communication (Ofcom), les fournisseurs suisses ont réalisé un chiffre d’affaires de 523,6 millions de francs avec les services d’itinérance internationale, à savoir le roaming. La fin de cette pratique intégrée dans un éventuel paquet de bilatérales III ferait ainsi figure d’appât séduisant pour le citoyen dans la perspective d’un vote.
En théorie, un accord bilatéral entre la Suisse et l’UE sur le roaming est désormais possible. Le 15 juin dernier, l’UE a mis fin aux tarifs d’itinérance après des années de négociations avec les opérateurs télécoms. Cette nouvelle réglementation donne des idées au Conseil fédéral. Le gouvernement en parle d’ailleurs dans le message sur la nouvelle loi sur les télécommunications, désormais sur la table du parlement. Constatant que les prix de l’itinérance internationale sont restés très élevés en Suisse, il veut se donner des possibilités d’intervention. Comment? Le Conseil fédéral évoque deux solutions: soit contraindre les opérateurs suisses à davantage de transparence et à des tarifs spéciaux. Ou alors conclure un accord bilatéral «pour fixer les prix de gros de l’itinérance, par exemple avec l’UE», indique-t-il.
Mais parvenir à un accord bilatéral sur le roaming ne sera pas si simple. En Suisse, les opérateurs, dont Swisscom, ont jusqu’à présent déployé un lobbyisme très actif pour empêcher toute intervention du politique. Ils notent que les tarifs d’itinérance ne cessent de baisser et se défendent de profiter des surcoûts. Dans un récent entretien accordé au Temps, le directeur de Swisscom, Urs Schaeppi, s’est ainsi positionné contre toute intervention étatique. «Chaque fois qu’un client de Swisscom, Salt ou Sunrise utilise son téléphone en France, par exemple, l’opérateur suisse doit verser quelque chose à l’opérateur local. Swisscom ne profite aucunement des prix réglementés de l’Union européenne. […] Comment régler cela en supprimant totalement le roaming via une loi? Je ne suis pas du tout convaincu. Laissons le marché régler petit à petit le roaming.»
Manque d’envie de l’UE
S’il veut avancer dans sa stratégie de séduction européenne au moyen du roaming, le Conseil fédéral devra donc d’abord passer sur le corps des opérateurs actifs en Suisse. Ensuite, il devra encore convaincre l’UE d’ouvrir des négociations. Dans l’entourage de la Commission européenne, on relève qu’il n’y a pas vraiment de volonté d’étendre le règlement concernant les tarifs d’itinérance à des pays tiers. Et même si elle entrait en matière, la Commission prévient: ce sera long. Elle a mis environ dix ans pour parvenir à un règlement avec les Etats membres.
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En Suisse, les opérateurs ont jusqu’à présent déployé un lobbyisme très actif pour empêcher toute intervention