Haro sur les héros de l’humanitaire
L’ouragan des révélations post-Weinstein a atteint le secteur humanitaire et les dégâts risquent d’être dévastateurs. Pour l’instant, c’est l’organisation britannique Oxfam qui paie les pots cassés. Mais il paraît évident que le scandale des abus sexuels va s’étendre à d’autres organisations caritatives.
En Suisse, ce n’est rien de moins que le Comité international de la CroixRouge (CICR) qui tangue. A la faveur de la libération de la parole, des délégués dénoncent aujourd’hui le recours à des prostituées dans des missions sur le terrain. L’ONG Médecins sans frontières reconnaît aussi qu’elle n’est pas immunisée contre les abus sexuels commis par son personnel.
Ces révélations ne surprendront que celles et ceux qui sanctifient les humanitaires. Ces derniers sont motivés par un altruisme indéniable. Mais il est tout aussi certain que le secteur présente de nombreux facteurs de risque. Comme autant de pièges tendus aux volontaires déployés au contact de populations qui ont tout perdu. Quand certains profitent de la vulnérabilité de celles et ceux qu’ils venaient secourir, c’est doublement révoltant.
Sans vouloir chercher des excuses à quiconque, le déséquilibre de pouvoir entre bienfaiteurs et bénéficiaires de l’aide est abyssal. En l’absence de solides garde-fous, il peut être source de bien des abus. Si on ajoute à ce tableau le confinement régulier des volontaires, pour des raisons de sécurité, ainsi qu’une part de néocolonialisme plus au moins conscient, les risques augmentent encore.
En 2004 déjà, trois jeunes idéalistes avaient raconté leurs premiers pas puis leur désenchantement dans les missions de maintien de la paix onusiennes des années 1990. Leur livre, que l’ONU avait vainement tenté d’interdire, était intitulé Emergency Sex (and Other Desperate Measures). Pour signifier que les rapports sexuels étaient un défouloir du trop-plein d’adrénaline ou de la frustration de leur mission impossible. Dans leur récit, il n’était pas fait mention d’abus sexuels mais le terreau était clairement identifié.
Depuis, les cas de harcèlement ou même de viol visant des Casques bleus ou des employés de l’ONU se sont multipliés. Alors que le scandale s’étend aux ONG, longtemps épargnées, l’industrie de l’aide a tout intérêt à ne pas faire l’autruche. Sinon, les donateurs se détourneront des oeuvres d’entraide internationales. D’autant que, sur fond d’un retour du protectionnisme et du nationalisme, le «sans-frontiérisme» n’a plus bonne presse. L’exigence d’une solidarité internationale minimale, qui passe par l’aide des Etats mais aussi par le travail remarquable des ONG, vacille. Les partisans d’un repli sur le réduit national profitent objectivement de ce scandale. Raison supplémentaire pour crever l’abcès. Car notre monde troublé n’a jamais eu autant besoin d’humanitaires engagés et au-dessus de tout soupçon.
Le secteur humanitaire doit rapidement crever l’abcès