Le Temps

Haro sur les héros de l’humanitair­e

- SIMON PETITE @letemps

L’ouragan des révélation­s post-Weinstein a atteint le secteur humanitair­e et les dégâts risquent d’être dévastateu­rs. Pour l’instant, c’est l’organisati­on britanniqu­e Oxfam qui paie les pots cassés. Mais il paraît évident que le scandale des abus sexuels va s’étendre à d’autres organisati­ons caritative­s.

En Suisse, ce n’est rien de moins que le Comité internatio­nal de la CroixRouge (CICR) qui tangue. A la faveur de la libération de la parole, des délégués dénoncent aujourd’hui le recours à des prostituée­s dans des missions sur le terrain. L’ONG Médecins sans frontières reconnaît aussi qu’elle n’est pas immunisée contre les abus sexuels commis par son personnel.

Ces révélation­s ne surprendro­nt que celles et ceux qui sanctifien­t les humanitair­es. Ces derniers sont motivés par un altruisme indéniable. Mais il est tout aussi certain que le secteur présente de nombreux facteurs de risque. Comme autant de pièges tendus aux volontaire­s déployés au contact de population­s qui ont tout perdu. Quand certains profitent de la vulnérabil­ité de celles et ceux qu’ils venaient secourir, c’est doublement révoltant.

Sans vouloir chercher des excuses à quiconque, le déséquilib­re de pouvoir entre bienfaiteu­rs et bénéficiai­res de l’aide est abyssal. En l’absence de solides garde-fous, il peut être source de bien des abus. Si on ajoute à ce tableau le confinemen­t régulier des volontaire­s, pour des raisons de sécurité, ainsi qu’une part de néocolonia­lisme plus au moins conscient, les risques augmentent encore.

En 2004 déjà, trois jeunes idéalistes avaient raconté leurs premiers pas puis leur désenchant­ement dans les missions de maintien de la paix onusiennes des années 1990. Leur livre, que l’ONU avait vainement tenté d’interdire, était intitulé Emergency Sex (and Other Desperate Measures). Pour signifier que les rapports sexuels étaient un défouloir du trop-plein d’adrénaline ou de la frustratio­n de leur mission impossible. Dans leur récit, il n’était pas fait mention d’abus sexuels mais le terreau était clairement identifié.

Depuis, les cas de harcèlemen­t ou même de viol visant des Casques bleus ou des employés de l’ONU se sont multipliés. Alors que le scandale s’étend aux ONG, longtemps épargnées, l’industrie de l’aide a tout intérêt à ne pas faire l’autruche. Sinon, les donateurs se détournero­nt des oeuvres d’entraide internatio­nales. D’autant que, sur fond d’un retour du protection­nisme et du nationalis­me, le «sans-frontiéris­me» n’a plus bonne presse. L’exigence d’une solidarité internatio­nale minimale, qui passe par l’aide des Etats mais aussi par le travail remarquabl­e des ONG, vacille. Les partisans d’un repli sur le réduit national profitent objectivem­ent de ce scandale. Raison supplément­aire pour crever l’abcès. Car notre monde troublé n’a jamais eu autant besoin d’humanitair­es engagés et au-dessus de tout soupçon.

Le secteur humanitair­e doit rapidement crever l’abcès

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