Investir dans le transport maritime
Le courtier maritime lausannois Ifchor veut convaincre les fonds financiers et les familles aisées d’investir dans le transport maritime. Un secteur qui vient de vivre la pire crise de son histoire mais qui est, selon lui, plus intéressant que la pierre
Le courtier maritime lausannois Ifchor a lancé il y a six mois sa division de conseils financiers Helvetic Marine Capital (HMC). Cette nouvelle filiale veut convaincre les fonds d’investissement et les familles aisées de l’Arc lémanique d’investir dans le transport maritime en leur permettant de financer des hypothèques sur des navires modernes ou de prendre des parts sur des bateaux. Le secteur vient pourtant de vivre la pire crise de son histoire, mais selon HMC, il serait aujourd’hui plus porteur que l’immobilier.
Au sixième étage de cet immeuble de la place Pépinet, on n’a même pas vue sur le lac. C’est pourtant depuis ce quartier lausannois qu’Ifchor accompagne les affrètements (la prise en location), ainsi que les achats et ventes de bateaux naviguant sur toutes les mers du globe. Et ce, depuis un peu plus de quarante ans.
Très discrète, la société de courtage maritime a lancé il y a six mois sa division de conseils financiers Helvetic Marine Capital (HMC). Cette dernière est destinée à accompagner les armateurs dans leurs besoins de financement. Et à encourager un plus large public à investir dans un secteur qui sort à peine de l’une des plus graves crises de son histoire.
La nouvelle filiale d’Ifchor souhaiterait notamment attirer l’attention (et les fonds) des familles aisées et des fonds d’investissement présents autour de l’Arc lémanique en leur permettant de financer des hypothèques sur des navires modernes, voire de prendre des parts sur des bateaux. L’entreprise propose différentes stratégies d’investissement.
Investir dans le shipping
«Il est plus lucratif aujourd’hui d’octroyer des crédits dans le shipping, avec ses marges de 5-6%, que dans l’immobilier vaudois», avance Régis Cazé, codirecteur de HMC.
Lancé en juillet, HMC a déjà été mandatée par 15 armateurs pour un montant total d’environ 500 millions de dollars (465 millions de francs). Une somme qui a pu être levée auprès de son réseau de 25 banques australiennes et scandinaves focalisées dans le shipping. Les premiers mandats sont en cours d’exécution et la filiale d’Ifchor cherche désormais 100 millions du côté des investisseurs privés, pour l’acquisition de vraquiers de seconde main de type Handysize, Supramax ou Kamsarmax.
Un petit tour dans les bureaux d’Ifchor (80 employés à Lausanne et 145 sur ses 8 sites dans le monde) permet d’y voir un peu plus clair dans les différents segments du transport maritime. Les bureaux ressemblent à n’importe quelle salle de marché. A la différence que l’espace est divisé non par continent ni produit financier mais par taille de navires. Et les couloirs sont remplis de maquettes de bateaux.
Au fond à gauche, l’équipe de courtiers la plus fournie gère les Capesize. Des mastodontes des mers qui, faute de pouvoir entrer dans le canal de Suez ou de Panama, passent par le cap Horn. A l’opposé de la salle, la table des Handysize. Du nom des plus petits vraquiers du marché contenant un maximum de 40000 tonnes de marchandise. Les Kamsarmax sont, eux, conçus spécialement pour charger la bauxite dans le port de Kamsar, au large de la Guinée. Leur longueur est limitée et leur cale renforcée pour supporter le poids de ce minerai permettant la production d’aluminium.
Qui pour remplacer les grandes banques?
Kosmas Theofilopoulos nous sert de guide dans ces locaux. «L’autre» codirecteur de HMC, c’est lui. D’origine grecque, il a lui-même travaillé huit ans auprès d’un armateur de son pays. La Grèce en compte des milliers. «Nous voulons que les gens soient plus à l’aise avec le shipping comme secteur d’investissement», récite-t-il. Depuis la crise de 2008, la plupart des banques traditionnelles se sont retirées du financement de navires où elles s’étaient trop exposées. C’est le cas de Royal Bank of Scotland, qui a vendu son portefeuille shippping, ou des établissements allemands comme Commerzbank, qui a réduit ses activités de financement maritime.
Et alors que le secteur souffre d’un déficit de crédits, les nouvelles régulations Bâle III et IV vont réduire davantage la capacité de financement. «Au lieu d’immobiliser 8% du capital, il faudra peut-être mettre 20%, illustre Régis Cazé. Ou même davantage au vu des difficultés à saisir un navire en pleine mer en cas de faillite d’un armateur.» Cet ancien de Credit Suisse et de BNP Paribas est persuadé que de nouveaux acteurs financiers comme les sociétés d’investissement, les family
offices ou des banques spécialisées sont plus à même de naviguer sur les eaux régulatoires.
Pour les convaincre, le chemin pourrait cependant être tortueux. Entre 2015 et 2016, le transport maritime a vécu l’un des moments les plus difficiles de son histoire avec de nombreuses faillites retentissantes. En juin dernier, la Confédération avait dû débloquer 215 millions de francs pour le cautionnement de 13 navires battant pavillon suisse. Cette garantie datait de la sortie de la Seconde Guerre mondiale mais n’avait jamais dû être activée.
Sur ce secteur où l’on investit pour une génération, Kosmas Theofilopoulos admet des risques, avant de préciser que le marché est en train de se ressaisir. «C’est une industrie où on investit de manière anticyclique. C’est vrai, il faut une dose de courage, et aussi les conseils d’un réseau de spécialistes.» Dit autrement: le secteur a touché le fond mais les bonnes affaires pullulent, pour ceux qui savent où chercher.
Des vraquiers soldés
Régis Cazé en veut pour preuve la valeur actuelle des navires. «Prenez ce vraquier derrière vous», exemplifie-t-il en pointant la maquette d’un Capesize de neuf cales dont on ne citera pas le nom. Acheté pour 120 millions de dollars au pic du marché, son prix s’est écroulé à quelque 40 millions. «Les banques qui s’étaient endettées pour 50 millions ne sont aujourd’hui même plus couvertes par la valeur de leur actif», déplore ce spécialiste du financement maritime.
Directeur général et fils du fondateur d’Ifchor, Emanuele Ravano préfère parler de «consolidation» plutôt que de «crise». Pour lui, le super-cycle de 2003-2008 avait quelque chose de «nocif» puisqu’il a poussé beaucoup d’acteurs à prendre trop de risques. «On vit aujourd’hui dans un environnement plus sain et équilibré», selon lui.
La nouvelle filiale d’Ifchor espère parvenir à soutenir les petits et moyens armateurs qui ont serré les dents pendant la tempête et souhaiteraient désormais revenir sur le marché. Depuis Lausanne, la mer a l’air si calme.