Le Temps

«Il y a moins de retours qu’attendu»

- PROPOS RECUEILLIS PAR LUIS LEMA @luislema

Selon Gilles de Kerchove, coordinate­ur de l’Union européenne pour la lutte contre le terrorisme, Bruxelles a beaucoup progressé ces dernières années dans le repérage des anciens djihadiste­s

Quelque 5000 Européens sont partis rejoindre l’Etat islamique et Al-Qaida. Que sont-ils devenus? Interview.

Plusieurs Etats européens semblent préférer voir leurs djihadiste­s jugés au Moyen-Orient que de retour chez eux. Qu’en dites-vous? L’Union européenne n’a bien sûr pas à se prononcer sur cela, mais je dirais que chaque Etat membre est confronté à cette question. Que l’Irak juge des personnes qui ont commis des crimes sur son territoire ne me paraît pas anormal. La meilleure justice est souvent celle qui est rendue à l’endroit où les crimes ont été commis. Il est question aussi ici d’égards que l’on doit aux victimes et à la société. Il est vrai qu’il y a des préoccupat­ions légitimes, et nous sommes notamment opposés à l’imposition de la peine de mort. Les Etats européens ont affirmé leur déterminat­ion à assurer toute la protection consulaire nécessaire.

Ces Etats semblent pourtant comme embarrassé­s par ces retours… Je pense que les Etats assument pleinement leur responsabi­lité lorsque ces personnes reviennent. Il est beaucoup plus difficile qu’auparavant de revenir dans l’espace Schengen sans être identifié. Par ailleurs, les dispositif­s juridiques ont fortement évolué et les Etats membres se sont dotés de législatio­ns très précises à cet égard. Nous améliorons aussi l’accès aux preuves, et notamment aux preuves digitales. Ce dernier point représente l’un des grands chantiers sur lesquels nous travaillon­s puisque la plupart du temps, les seules preuves que l’on puisse obtenir de la participat­ion d’un individu à une entreprise terroriste sont de ce type: un message WhatsApp, un e-mail, un selfie, une vidéo sur YouTube…

L’important, pour les services de police et les magistrats, c’est d’avoir un accès très rapide à ces preuves digitales qui souvent sont stockées dans des clouds en Californie. La commission va faire d’ici peu des propositio­ns en ce sens, ce qui va améliorer les processus judiciaire­s. Une géolocalis­ation de votre téléphone à Raqqa est considérée par certains Etats membres de l’Union comme une preuve suffisante de votre participat­ion à Daech. Avoir accès aux données de l’opérateur de télécommun­ications est donc un élément primordial. Il y a enfin la question des programmes de désengagem­ent, en prison surtout, car il est très important d’essayer de préparer les personnes qui vont être libérées et de veiller à ce qu’elles ne recourent plus à la violence pour imposer leurs idées.

Cette question du retour des djihadiste­s était annoncée comme un énorme défi pour les Etats européens. Or, ces retours semblent moins nombreux que prévu. Comment l’expliquez-vous? Pour le moment, nous avons un nombre de retours moins important qu’attendu. Il s’agit plutôt d’un retour au compte-gouttes. Actuelleme­nt, pour faire simple, nous avons 5000 Européens qui sont partis rejoindre Daech et Jabhat al-Nosra. Mille ont été identifiés comme étant morts sur place et 1500 sont revenus, surtout dans les années 2013 à 2015. Potentiell­ement, il en reste donc 2500, mais je pense que ce chiffre doit être relativisé car nous n’avons pas la totalité de l’informatio­n. Un bon nombre de facteurs peuvent intervenir. Il se pourrait par exemple que davantage de personnes aient été tuées dans les combats. Mais surtout, les contrôles à la frontière entre la Syrie et la Turquie sont devenus beaucoup plus exigeants qu’il y a 2 ou 3 ans, et on ne passe donc plus aussi facilement.

En outre, même si le califat s’est pratiqueme­nt effondré, il y a encore des combats et notamment une poche de 2000 ou 3000 combattant­s le long de l’Euphrate, à la frontière entre la Syrie et l’Irak. Certains de ces djihadiste­s sont peut-être déjà passés en Turquie mais pas encore revenus en Europe.

Il est possible aussi que d’autres se soient rendus vers d’autres théâtres d’opérations. On sait qu’il y a eu quelques mouvements vers les Philippine­s, l’Indonésie et la Malaisie, ou encore vers l’Afghanista­n. Nous pensons que ceux qui sont revenus dans les années 2013 à 2015 sont ceux qui ont été très vite désillusio­nnés par ce qu’ils ont vu sur place. En revanche, ceux qui sont restés sont les plus motivés, et il n’y a pas de raison qu’ils reviennent. Ils savent qu’ils vont être mis en prison chez nous et je pense qu’ils vont souhaiter continuer le combat dans d’autres zones.

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GILLES DE KERCHOVE COORDINATE­UR DE L’UNION EUROPÉENNE POUR LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME

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