Délégués recourant à la prostitution: le vif débat qui secoue le CICR
Sur Facebook, un groupe d’anciens et d’actuels collaborateurs du Comité international de la Croix-Rouge réagissent au scandale Oxfam et dénoncent à leur tour des cas où des collaborateurs de leur organisation ont recouru à des prestations sexuelles tarifées sans qu’ils aient été sanctionnés
Les abus sexuels commis par des collaborateurs déployés par l’organisation britannique Oxfam en Haïti secouent le monde humanitaire. Médecins sans frontières a enregistré 25 plaintes pour harcèlement et violences sexuelles ayant donné lieu à 19 licenciements, a reconnu mardi sa section suisse. A Genève, a appris Le Temps, le Comité international de la Croix-Rouge n’est pas épargné. Dans un groupe Facebook d’anciens et d’actuels collaborateurs de l’institution genevoise (ICRC Alumni Network) accessible par cooptation, un vif débat s’est fait jour après les récentes révélations d’abus sexuels commis par des humanitaires. Une ancienne collaboratrice du CICR est catégorique: «C’est très positif d’assister enfin à une discussion ouverte sur le recours à des prostituées par des employés du CICR. Durant mes six ans au CICR, ce type de comportement avait cours dans chaque mission.»
Un autre ex-employé est même plus sévère: «Le CICR s’en fiche. Il est complice. J’ai vu plusieurs cas quand j’y travaillais. L’un des collaborateurs a même eu une promotion au siège (du CICR) bien qu’il ait été pris en flagrant délit. […] Ce mec n’avait jamais appris sa leçon et continuait de se vanter auprès de ses collègues d’avoir trouvé les vraies filles.» Au sein du groupe sur Facebook, le débat est vif, mais constructif. Une autre intervenante craint désormais une «chasse aux sorcières» et s’interroge: «La prostitution est aussi vieille que l’humanité. Pourquoi le monde humanitaire serait-il meilleur que le reste du monde?» A quoi plusieurs rétorquent que les humanitaires ont une vraie responsabilité et les moyens de mettre en place une culture de tolérance zéro. «La seule fois que ce problème a été abordé correctement, c’est lorsqu’une femme dirigeait la délégation», ajoute une autre membre de l’Alumni Network.
Ni immunisés ni parfaits
Le scandale des humanitaires recourant à la prostitution dans des pays souvent très défavorisés heurte la communauté du CICR. Des questionnaires à choix multiple sont même proposés: «J’étais au courant du fait que des collègues recouraient à des prestations sexuelles tarifées en mission.» «Je n’étais pas au courant.» «J’étais au courant de cas de harcèlement sexuel parmi mes collègues.» «J’ai entendu parler du fait que des collègues payaient pour des prestations sexuelles.» Etc.
Au siège du CICR, on ne cherche pas à cacher le problème. Yves Daccord, directeur général de l’institution, a rapidement répondu aux quelque 5000 membres de l’Alumni Network. «Nous sommes à l’écoute et nous prenons la chose à coeur.» Chef des relations publiques, Ewan Watson précise: «Nous abordons le problème avec humilité et transparence et nous sentons le besoin d’accélérer les choses. Nous ne sommes ni immunisés [contre ces pratiques] ni parfaits. Nous ne sommes pas aveugles. Nous avons eu des cas de prostitution et des gens ont été licenciés. Pour nous, de tels comportements sont d’autant plus inacceptables que nous sommes une organisation fondée sur des valeurs. De tels agissements sapent surtout la confiance des populations auxquelles on est censé venir en aide et porte préjudice à notre action.»
Alors que de tels cas de recours à la prostitution par des humanitaires se sont multipliés au début des années 2000, le CICR a déjà senti, en 2006, le besoin d’agir en adoptant, après un vif débat interne, un code de conduite que tout nouveau et actuel délégué a dû signer. Aujourd’hui, l’organisation peine à quantifier le nombre de cas répréhensibles. Longtemps, la gestion de telles situations était décentralisée et l’apanage des chefs de délégation à l’étranger. Ces cadres n’étaient pas contraints d’en informer le siège genevois. L’organisation a ensuite créé un poste d’ombudsman. Mais c’est surtout en 2016 qu’il a mis les bouchées doubles en créant le Global Compliance Office dirigé par Maria Thestrup. Ce bureau est habilité à enquêter sur tout cas lié à des abus ou violences sexuelles.
«Nous encourageons aussi les lanceurs d’alerte et leur garantissons qu’ils pourront livrer des informations en toute confidentialité», ajoute Ewan Watson. Faut-il de nouvelles procédures de recrutement? «Elles sont déjà très strictes, poursuit-il. Il faut surtout changer la culture générale du secteur et saisir ce moment.» Un moment qu’Yves Daccord qualifie de «crucial» pour les humanitaires.
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«Ce type de comportement avait cours dans chaque mission»
UNE ANCIENNE COLLABORATRICE DU CICR