Le Temps

Avec Papyrus, Genève fait cavalier seul

Le conseiller d’Etat Pierre Maudet estime que le bilan intermédia­ire du projet pilote de régularisa­tion est tout à fait positif. Pour le moment, aucun autre canton ne s’est lancé dans l’aventure et la Berne fédérale s’inquiète

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

On est en période électorale, précise d’emblée Pierre Maudet face aux médias. Alors, le conseiller d’Etat genevois ne se privera pas de souligner que l’opération Papyrus est un élément de la législatur­e dont il est particuliè­rement fier. A ses yeux de ministre de l’Economie, le bilan intermédia­ire du projet pilote sur deux ans, qui vise à lutter contre le travail au noir et à régularise­r un groupe de sans-papiers répondant à des critères stricts, est tout à fait positif. Quelque 1093 personnes sont désormais sorties de la clandestin­ité, les assurances sociales ont encaissé 2 millions de plus grâce à un pic d’adhésion dans le secteur de l’économie domestique et l’appel d’air, tant redouté, ne semble pas se concrétise­r.

Sujet sensible à Berne

Il en faudra sans doute plus pour convaincre au-delà des frontières cantonales. Venu de Berne pour l’occasion, le patron du Secrétaria­t d’Etat aux migrations (SEM), Mario Gattiker, précise qu’aucun projet équivalent n’a été initié ailleurs. Bâle-Ville a mené des discussion­s mais rien ne s’est concrétisé. Papyrus n’a pas fait des émules mais l’opération a suscité beaucoup de réactions, notamment sous la coupole fédérale. Une série d’interpella­tions et d’initiative­s ont déferlé pour demander des projets analogues ou alors l’arrêt immédiat de cette expérience, voire la fixation de critères encore plus fermes. «Tout cela démontre l’intérêt porté à la gestion de ce dossier sensible», résume Mario Gattiker.

En tant qu’autorité d’approbatio­n et d’examen des cas de rigueur, le SEM a accepté de soutenir Papyrus pour autant que le canton s’engage à renvoyer ceux qui auront essuyé un refus. Sur la totalité des dossiers présentés, trois ont échoué au niveau du canton «en raison d’un arrière-fond pénal» et un n’a pas passé la rampe du SEM. «Cela veut dire l’expulsion», relève Pierre Maudet. Pour la très grande majorité des cas, les associatio­ns de soutien aux sans-papiers ont accompli un travail titanesque d’informatio­n et d’accompagne­ment tout en évitant d’exposer des personnes qui ne seraient pas dans la cible.

Selon Marianne Halle, du Centre de contacts Suisses-immigrés, les permanence­s ont déjà reçu 3000 personnes et le taux de profils Papyrus-compatible­s est en augmentati­on (de 50 à 75%). Le candidat doit avoir un emploi, une indépendan­ce financière complète, un séjour continu de cinq ans pour les familles avec enfants scolarisés ou de dix ans pour les couples ou les célibatair­es, une bonne intégratio­n avec maîtrise de la langue (le taux de réussite est de 88% sur 790 tests) et une absence de condamnati­on. Après l’afflux des débuts, la situation s’est calmée. «Nous recevons toujours régulièrem­ent des gens et une quinzaine de dossiers sont déposés chaque semaine.»

Pour Pierre Maudet, la plus grande victoire de Papyrus est d’avoir réussi à pousser ces clandestin­s à surmonter la peur. Cela n’est pas allé de soi. Marianne Halle explique que les rumeurs les plus folles ont rapidement surgi au sein des communauté­s concernées. On parlait de piège, d’arrestatio­ns de masse ou de refus systématiq­ue. Il a fallu attendre la délivrance des premiers permis pour que le climat s’apaise. Certains ont vu leur vie changer grâce à cette normalisat­ion. D’autres, qui ne répondaien­t pas aux critères, ont vu leurs espoirs déçus et demeurent dans une situation de grande précarité.

Avertissem­ent

L’aspect économique de l’opération, «dimension forte» selon les termes du ministre libéral-radical, est aussi prometteur. La tolérance pour les employeurs qui ne payent pas les cotisation­s sociales prendra fin au terme de Papyrus, a prévenu Pierre Maudet, et ceux qui ne se sont pas mis en conformité seront dénoncés au procureur général. En attendant, la campagne contre le travail au noir a eu un fort impact. Les adhésions à Chèque service ont augmenté de 36%, relève Christina Stoll, la directrice générale de l’Office cantonal de l’inspection et des relations du travail (OCIRT). Cela représente 2 millions de cotisation­s en plus pour 2017. En dehors de l’économie domestique, aucune «énorme poche» de clandestin­s n’a été mise au jour.

Pour encadrer ce secteur à risque, une plateforme internet «Ménage Emploi» est mise en service pour simplifier la recherche de personnel de maison et permettre à la main-d’oeuvre locale existante de trouver une place. Il faudra encore attendre une année pour avoir une analyse plus complète de Papyrus et voir quelles seront les suites de l’opération. Pierre Maudet estime qu’il y aura au total 2200 ou 2500 personnes régularisé­es grâce à ce projet, sur les 3000 ou 5000 profils éligibles. En tout, Genève abriterait quelque 13000 des 73000 sans-papiers de Suisse.

Aux clandestin­s de toujours pourraient venir s’ajouter ceux qui ont été détenteurs d’un permis pour une partie de leur séjour avant de tomber dans l’illégalité. La Chambre administra­tive a introduit un grain de sable dans la mécanique Papyrus en soulignant, dans plusieurs décisions, qu’aucun motif ne permet de soutenir, comme le fait le départemen­t, que ce projet s’adresse uniquement aux étrangers ayant toujours été en situation irrégulièr­e. Sur ce point, la réponse du ministre reste évasive. «En principe, on ne va pas sortir du périmètre prévu à l’origine. Il faudra encore étudier cette jurisprude­nce.»

Certains ont vu leur vie changer grâce à cette normalisat­ion

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(SALVATORE DI NOLFI/KEYSTONE) Quelque 1093 personnes sont sorties de la clandestin­ité dans le cadre du projet pilote genevois qui vise à lutter contre le travail au noir.

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