L’italien des Grisons, une langue en résistance
Le combat de Pro Grisons italiens, une institution fondée en 1918 pour défendre «la minorité dans la minorité», reste d’une actualité brûlante
Au moment où l’on célèbre les 80 ans du romanche comme langue nationale, les italophones des Grisons fêtent un anniversaire plus grand encore: le centenaire de leur combat identitaire. C’est en 1918 qu’a été fondée Pro Grisons italiens (PGI), l’institution qui promeut la langue de Dante et la culture italienne dans le canton trilingue. Un combat qui reste d’une actualité brûlante, si l’on en croit Franco Milani, le président de PGI: «L’italien, même s’il n’est pas fondamentalement menacé, est ponctuellement en danger dans la réalité grisonne. Des villages, comme Bivio, italophone jusqu’à il y a vingt ans, sont devenus totalement germanophones.»
Le risque que l’italien disparaisse au niveau politique et administratif existe toujours, souligne le résident de Saint-Moritz. Un exemple: le site grison des services de premiers secours – lié au numéro 144 – est tout en allemand. «Cela, parce que ceux qui l’ont conçu travaillaient dans une zone germanophone. Le canton raisonne encore en termes de territorialité. Or, avec la globalisation et les nouvelles technologies, il est nécessaire de dépasser cette conception.»
Deux représentants depuis 1848
PGI considère aussi que des interventions sont nécessaires au niveau du personnel qualifié dans l’administration: «Dans les classes salariales du haut de l’échelle, il n’y a presque pas de fonctionnaires de langue maternelle italienne. Du coup, lorsqu’une décision est prise, souvent l’italien est oublié», souligne Franco Milani. Or les italophones représentent tout de même 12% de la population grisonne, soit 25000 habitants. En 1970, ils étaient 16% et en 2000, 10%.
Ces fluctuations sont surtout liées au va-et-vient des travailleurs italiens dans la région. La moitié des italophones vit dans les vallées de Valposchiavo, Mesolcina, Calanca et Bregaglia, celle où est né le sculpteur Alberto Giacometti. Les autres sont dispersés dans le canton. Au total, on compte 670000 italophones en Suisse, dont la moitié résident en Suisse italienne.
Le président de PGI se félicite de l’élection de l’un d’eux au Conseil fédéral. «Au-delà de sa couleur politique, Ignazio Cassis garantit une certaine présence de l’italien dans tous les dossiers qu’il traite. D’autant plus qu’il s’est longtemps mobilisé au sein du groupe parlementaire Italianità pour promouvoir la culture italienne à Berne.» «La question linguistique dépend beaucoup de la volonté politique, donc de personnes», poursuit Franco Milani. Pour cela, PGI compte sur la conseillère nationale socialiste Silva Semadeni, la deuxième représentante des Grisons italiens sous la coupole fédérale dans les 170 ans d’histoire de la Suisse moderne.
«Nous ne sommes pas une île linguistique»
Selon Franco Milani, l’initiative «No Billag» fait peur dans les Grisons italiens, «plus qu’ailleurs. Pour nous, le rôle des médias pour la solidarité culturelle est fondamental. Nous nous sommes aussi battus dix ans pour avoir un correspondant de l’ATS. Nous espérons que le poste créé à Coire en 2016 ne sera pas éliminé…»
Cette année, PGI se battra aussi contre une initiative visant à imposer une seule langue étrangère à l’école primaire. Elle signifierait que l’italien serait supprimé à ce niveau dans les communes germanophones et l’anglais dans les communes italophones et romanches. «Contrairement aux initiatives similaires à Zurich et à Lucerne, ici elle a de bonnes chances d’être acceptée», redoute Franco Milani.
Par rapport au romanche, qui était parlé par la moitié des Grisons en 1800 et l’est actuellement par 15% de la population, l’italien est tout de même avantagé sur un point, reconnaît le président de PGI: «Nous ne sommes pas une île linguistique. L’italien est parlé dans le monde, il ne risque pas de s’éteindre. Contrairement au romanche, composé de surcroît de cinq idiomes, ce qui ne facilite pas sa protection.» Pro Grisons italiens entretient avec les associations romanches des rapports «cordiaux et fréquents», et collabore sur des dossiers culturels et politiques.
Au fil des décennies, cet organisme, financé pour l’essentiel par la Confédération, a gagné en reconnaissance et professionnalisme. Par des prix, des débats et des conférences, il promeut la culture, la langue et la littérature italiennes dans le canton. «Donner à notre langue le poids qui lui revient dans les Grisons demeure une mission lancinante d’actualité.»
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