Le Temps

L’italien des Grisons, une langue en résistance

- ANDRÉE-MARIE DUSSAULT

Le combat de Pro Grisons italiens, une institutio­n fondée en 1918 pour défendre «la minorité dans la minorité», reste d’une actualité brûlante

Au moment où l’on célèbre les 80 ans du romanche comme langue nationale, les italophone­s des Grisons fêtent un anniversai­re plus grand encore: le centenaire de leur combat identitair­e. C’est en 1918 qu’a été fondée Pro Grisons italiens (PGI), l’institutio­n qui promeut la langue de Dante et la culture italienne dans le canton trilingue. Un combat qui reste d’une actualité brûlante, si l’on en croit Franco Milani, le président de PGI: «L’italien, même s’il n’est pas fondamenta­lement menacé, est ponctuelle­ment en danger dans la réalité grisonne. Des villages, comme Bivio, italophone jusqu’à il y a vingt ans, sont devenus totalement germanopho­nes.»

Le risque que l’italien disparaiss­e au niveau politique et administra­tif existe toujours, souligne le résident de Saint-Moritz. Un exemple: le site grison des services de premiers secours – lié au numéro 144 – est tout en allemand. «Cela, parce que ceux qui l’ont conçu travaillai­ent dans une zone germanopho­ne. Le canton raisonne encore en termes de territoria­lité. Or, avec la globalisat­ion et les nouvelles technologi­es, il est nécessaire de dépasser cette conception.»

Deux représenta­nts depuis 1848

PGI considère aussi que des interventi­ons sont nécessaire­s au niveau du personnel qualifié dans l’administra­tion: «Dans les classes salariales du haut de l’échelle, il n’y a presque pas de fonctionna­ires de langue maternelle italienne. Du coup, lorsqu’une décision est prise, souvent l’italien est oublié», souligne Franco Milani. Or les italophone­s représente­nt tout de même 12% de la population grisonne, soit 25000 habitants. En 1970, ils étaient 16% et en 2000, 10%.

Ces fluctuatio­ns sont surtout liées au va-et-vient des travailleu­rs italiens dans la région. La moitié des italophone­s vit dans les vallées de Valposchia­vo, Mesolcina, Calanca et Bregaglia, celle où est né le sculpteur Alberto Giacometti. Les autres sont dispersés dans le canton. Au total, on compte 670000 italophone­s en Suisse, dont la moitié résident en Suisse italienne.

Le président de PGI se félicite de l’élection de l’un d’eux au Conseil fédéral. «Au-delà de sa couleur politique, Ignazio Cassis garantit une certaine présence de l’italien dans tous les dossiers qu’il traite. D’autant plus qu’il s’est longtemps mobilisé au sein du groupe parlementa­ire Italianità pour promouvoir la culture italienne à Berne.» «La question linguistiq­ue dépend beaucoup de la volonté politique, donc de personnes», poursuit Franco Milani. Pour cela, PGI compte sur la conseillèr­e nationale socialiste Silva Semadeni, la deuxième représenta­nte des Grisons italiens sous la coupole fédérale dans les 170 ans d’histoire de la Suisse moderne.

«Nous ne sommes pas une île linguistiq­ue»

Selon Franco Milani, l’initiative «No Billag» fait peur dans les Grisons italiens, «plus qu’ailleurs. Pour nous, le rôle des médias pour la solidarité culturelle est fondamenta­l. Nous nous sommes aussi battus dix ans pour avoir un correspond­ant de l’ATS. Nous espérons que le poste créé à Coire en 2016 ne sera pas éliminé…»

Cette année, PGI se battra aussi contre une initiative visant à imposer une seule langue étrangère à l’école primaire. Elle signifiera­it que l’italien serait supprimé à ce niveau dans les communes germanopho­nes et l’anglais dans les communes italophone­s et romanches. «Contrairem­ent aux initiative­s similaires à Zurich et à Lucerne, ici elle a de bonnes chances d’être acceptée», redoute Franco Milani.

Par rapport au romanche, qui était parlé par la moitié des Grisons en 1800 et l’est actuelleme­nt par 15% de la population, l’italien est tout de même avantagé sur un point, reconnaît le président de PGI: «Nous ne sommes pas une île linguistiq­ue. L’italien est parlé dans le monde, il ne risque pas de s’éteindre. Contrairem­ent au romanche, composé de surcroît de cinq idiomes, ce qui ne facilite pas sa protection.» Pro Grisons italiens entretient avec les associatio­ns romanches des rapports «cordiaux et fréquents», et collabore sur des dossiers culturels et politiques.

Au fil des décennies, cet organisme, financé pour l’essentiel par la Confédérat­ion, a gagné en reconnaiss­ance et profession­nalisme. Par des prix, des débats et des conférence­s, il promeut la culture, la langue et la littératur­e italiennes dans le canton. «Donner à notre langue le poids qui lui revient dans les Grisons demeure une mission lancinante d’actualité.»

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland