Le Temps

La météo de l’espace à portée de main

- DAVID LAROUSSERI­E (LE MONDE)

Combinant observatio­n et modélisati­on, les scientifiq­ues tentent d’anticiper les dégâts des orages magnétique­s, des phénomènes dévastateu­rs pour l’électroniq­ue et les satellites terrestres

En septembre 2017, les émissions radio longue distance ont été brièvement interrompu­es dans l’hémisphère nord. En novembre 2003, un système de localisati­on aérienne a été perturbé pendant plus d’une journée et des satellites de communicat­ion endommagés. En 1989, le Québec a été plongé dans le noir pendant neuf heures.

La liste est longue des dégâts qu’engendrent les éruptions solaires, des sautes d’humeur de notre étoile, un milliard de fois plus énergétiqu­es qu’une bombe nucléaire à hydrogène. A chaque fois, le Soleil envoie des bouffées de rayonnemen­t et de particules qui causent de belles aurores boréales mais perturbent aussi les satellites ou les réseaux électrique­s. Prédire ces événements est donc aussi important, voire plus, qu’anticiper une chute de neige.

Un effet dynamo comme pour l’éclairage d’un vélo

Une équipe française vient de franchir une étape importante dans ce but, en décortiqua­nt, dans la revue Nature du 8 février, un mécanisme à l’origine de ces éruptions.

Leur source d’énergie est connue depuis longtemps. C’est un effet dynamo, comme pour l’éclairage d’un vélo, en plus puissant. Le mouvement des particules chargées crée un champ magnétique, qui lui-même induit des déplacemen­ts de charges électrique­s, etc.

Les lieux des «explosions» aussi sont bien connus. Ce sont les énormes taches sombres de plusieurs milliers de kilomètres à la surface rougeoyant­e de notre étoile. C’est là que des lignes de champs magnétique­s, ressemblan­t à des cordons en torsion extrême prêts à claquer, entrent et sortent, limitant la production de rayonnemen­t lumineux.

Restait à trouver l’étincelle. En 2014, la même équipe de chercheurs en avait trouvé une. Un de ces cordons magnétique­s s’étire en altitude, gardant ses deux pieds dans les taches sombres. Il grandit, se tord comme un fil élastique et emmagasine de l’énergie, jusqu’à plusieurs milliers de kilomètres dans l’atmosphère solaire.

Puis soudain, il claque, libérant son énergie sous forme d’abord de rayonnemen­t, qui met huit minutes à atteindre la Terre. Puis sous forme de particules portées par le vent solaire et qui arrivent en trois quarts d’heure sur nous. Et, enfin, plus rarement heureuseme­nt, sous forme d’une gigantesqu­e bulle de particules chargées, très dense, capable de déformer le bouclier magnétique de la Terre, et de perturber radio, électricit­é, satellites… pendant plusieurs jours.

Une tache gigantesqu­e de la taille de Jupiter

«Mais nous ne savions pas pourquoi cette éjection de matière n’est pas systématiq­ue dans les éruptions», explique Tahar Amari, principal auteur de l’étude, chercheur CNRS à l’Ecole polytechni­que. Ce fut notamment le cas le 24 octobre 2014: à l’endroit d’une tache gigantesqu­e de la taille de Jupiter, une éruption solaire a eu lieu, mais sans émettre de bulle de plasma.

La faute, selon les chercheurs, aux facéties du champ magnétique. Une corde torsadée s’est développée comme prévu, laissant même anticiper une énergie libérable colossale. Mais d’autres lignes de champ sont

Des sautes d’humeur un milliard de fois plus énergétiqu­es qu’une bombe nucléaire à hydrogène

apparues, perpendicu­laires, formant comme une cage entourant la corde et empêchant finalement le claquage violent. «Dans un précédent article, portant sur une éruption de 2006, la cage ne confinait pas assez la corde et une éjection de plasma a eu lieu, contrairem­ent à celle de 2014, étudiée ici», indique Tahar Amari. La corde a néanmoins libéré suffisamme­nt d’énergie pour, sans briser totalement la cage, causer une éruption sans éjection de matière.

Des calculs incompatib­les avec l’alerte opérationn­elle

«Le travail est techniquem­ent impression­nant et aide à comprendre ce qui se passe», salue Etienne Pariat de l’Observatoi­re de Paris-Meudon. Les chercheurs ont en effet réalisé des simulation­s numériques complexes. D’abord ils utilisent les données du satellite SDO de la NASA, qui fournit la valeur du champ magnétique en surface. A partir d’elles, ils calculent la forme tridimensi­onnelle de ce champ et son évolution avec le temps. Enfin, ils «secouent» numériquem­ent cette structure en ajoutant des instabilit­és afin de tester sa robustesse. C’est ainsi qu’ils ont vu que la corde «tenait» jusqu’à quelques minutes avant le moment fatidique de l’éruption.

Prédire si une éruption aura lieu, en observant les taches solaires, devient donc en principe possible. Mais, en pratique, une météo de l’espace n’est pas pour tout de suite.

D’abord, les calculs et les analyses sont longs, incompatib­les pour l’instant avec des alertes opérationn­elles. Ensuite, «on ne peut pas encore prévoir lesquelles des perturbati­ons introduite­s pour tester la stabilité de la structure auront lieu en réalité», estime Eric Buchlin de l’Institut d’astrophysi­que spatiale (Orsay). En outre, «d’autres modèles décrivent autrement le phénomène», rappelle Etienne Pariat, engagé dans le projet européen Flarecast de prévision de ces éruptions à partir d’algorithme par apprentiss­age.

«Nous ne savons pas non plus prédire l’effet qu’auraient ces éruptions sur Terre, ce qui fait appel à d’autres phénomènes physiques», complète Tahar Amari.

 ?? (NASA/SDO) ?? Eruptions solaires capturées par l’Observatoi­re de la dynamique solaire (SDO) lancé dans l’espace par la NASA en 2010. L’instrument permet de suivre ces tempêtes et de déduire les phénomènes magnétique­s qui les provoquent.
(NASA/SDO) Eruptions solaires capturées par l’Observatoi­re de la dynamique solaire (SDO) lancé dans l’espace par la NASA en 2010. L’instrument permet de suivre ces tempêtes et de déduire les phénomènes magnétique­s qui les provoquent.

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