La météo de l’espace à portée de main
Combinant observation et modélisation, les scientifiques tentent d’anticiper les dégâts des orages magnétiques, des phénomènes dévastateurs pour l’électronique et les satellites terrestres
En septembre 2017, les émissions radio longue distance ont été brièvement interrompues dans l’hémisphère nord. En novembre 2003, un système de localisation aérienne a été perturbé pendant plus d’une journée et des satellites de communication endommagés. En 1989, le Québec a été plongé dans le noir pendant neuf heures.
La liste est longue des dégâts qu’engendrent les éruptions solaires, des sautes d’humeur de notre étoile, un milliard de fois plus énergétiques qu’une bombe nucléaire à hydrogène. A chaque fois, le Soleil envoie des bouffées de rayonnement et de particules qui causent de belles aurores boréales mais perturbent aussi les satellites ou les réseaux électriques. Prédire ces événements est donc aussi important, voire plus, qu’anticiper une chute de neige.
Un effet dynamo comme pour l’éclairage d’un vélo
Une équipe française vient de franchir une étape importante dans ce but, en décortiquant, dans la revue Nature du 8 février, un mécanisme à l’origine de ces éruptions.
Leur source d’énergie est connue depuis longtemps. C’est un effet dynamo, comme pour l’éclairage d’un vélo, en plus puissant. Le mouvement des particules chargées crée un champ magnétique, qui lui-même induit des déplacements de charges électriques, etc.
Les lieux des «explosions» aussi sont bien connus. Ce sont les énormes taches sombres de plusieurs milliers de kilomètres à la surface rougeoyante de notre étoile. C’est là que des lignes de champs magnétiques, ressemblant à des cordons en torsion extrême prêts à claquer, entrent et sortent, limitant la production de rayonnement lumineux.
Restait à trouver l’étincelle. En 2014, la même équipe de chercheurs en avait trouvé une. Un de ces cordons magnétiques s’étire en altitude, gardant ses deux pieds dans les taches sombres. Il grandit, se tord comme un fil élastique et emmagasine de l’énergie, jusqu’à plusieurs milliers de kilomètres dans l’atmosphère solaire.
Puis soudain, il claque, libérant son énergie sous forme d’abord de rayonnement, qui met huit minutes à atteindre la Terre. Puis sous forme de particules portées par le vent solaire et qui arrivent en trois quarts d’heure sur nous. Et, enfin, plus rarement heureusement, sous forme d’une gigantesque bulle de particules chargées, très dense, capable de déformer le bouclier magnétique de la Terre, et de perturber radio, électricité, satellites… pendant plusieurs jours.
Une tache gigantesque de la taille de Jupiter
«Mais nous ne savions pas pourquoi cette éjection de matière n’est pas systématique dans les éruptions», explique Tahar Amari, principal auteur de l’étude, chercheur CNRS à l’Ecole polytechnique. Ce fut notamment le cas le 24 octobre 2014: à l’endroit d’une tache gigantesque de la taille de Jupiter, une éruption solaire a eu lieu, mais sans émettre de bulle de plasma.
La faute, selon les chercheurs, aux facéties du champ magnétique. Une corde torsadée s’est développée comme prévu, laissant même anticiper une énergie libérable colossale. Mais d’autres lignes de champ sont
Des sautes d’humeur un milliard de fois plus énergétiques qu’une bombe nucléaire à hydrogène
apparues, perpendiculaires, formant comme une cage entourant la corde et empêchant finalement le claquage violent. «Dans un précédent article, portant sur une éruption de 2006, la cage ne confinait pas assez la corde et une éjection de plasma a eu lieu, contrairement à celle de 2014, étudiée ici», indique Tahar Amari. La corde a néanmoins libéré suffisamment d’énergie pour, sans briser totalement la cage, causer une éruption sans éjection de matière.
Des calculs incompatibles avec l’alerte opérationnelle
«Le travail est techniquement impressionnant et aide à comprendre ce qui se passe», salue Etienne Pariat de l’Observatoire de Paris-Meudon. Les chercheurs ont en effet réalisé des simulations numériques complexes. D’abord ils utilisent les données du satellite SDO de la NASA, qui fournit la valeur du champ magnétique en surface. A partir d’elles, ils calculent la forme tridimensionnelle de ce champ et son évolution avec le temps. Enfin, ils «secouent» numériquement cette structure en ajoutant des instabilités afin de tester sa robustesse. C’est ainsi qu’ils ont vu que la corde «tenait» jusqu’à quelques minutes avant le moment fatidique de l’éruption.
Prédire si une éruption aura lieu, en observant les taches solaires, devient donc en principe possible. Mais, en pratique, une météo de l’espace n’est pas pour tout de suite.
D’abord, les calculs et les analyses sont longs, incompatibles pour l’instant avec des alertes opérationnelles. Ensuite, «on ne peut pas encore prévoir lesquelles des perturbations introduites pour tester la stabilité de la structure auront lieu en réalité», estime Eric Buchlin de l’Institut d’astrophysique spatiale (Orsay). En outre, «d’autres modèles décrivent autrement le phénomène», rappelle Etienne Pariat, engagé dans le projet européen Flarecast de prévision de ces éruptions à partir d’algorithme par apprentissage.
«Nous ne savons pas non plus prédire l’effet qu’auraient ces éruptions sur Terre, ce qui fait appel à d’autres phénomènes physiques», complète Tahar Amari.
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