Le short-track, une passion coréenne
Méconnu en Suisse, le patinage de vitesse sur piste courte permet à la Corée du Sud d’amasser des médailles depuis 1992. C’est autour de l’ovale de 111,12 mètres que règne la plus chaude ambiance de Pyeongchang 2018
En short-track, un athlète peut franchir la ligne d'arrivée le premier et ne pas être certain de décrocher la victoire. Les juges sont susceptibles de disqualifier un concurrent pour mauvaise conduite et à la fin de chaque course il leur faut quelques dizaines de secondes avant de valider le classement. Mardi soir, les quatre jeunes femmes de l'équipe sud-coréenne du 3000 m en relais ne se sont toutefois pas encombrées de la moindre réserve. Leurs 27 tours de piste à peine terminés, elles s'emparaient de leur drapeau et repartaient pour quelques boucles de plus histoire de saluer une foule aux anges. Tant pis si leur médaille d'or n'allait être confirmée que quelques minutes plus tard.
Pour Shim Sukhee, Choi Minjeong, Kim Yejin et Kim Alang, la victoire ne tenait pas de l'exploit mais de l'ordre des choses. Pour expliquer leur écrasante domination en ski de fond, les Norvégiens disent qu'ils sont tous nés lattes aux pieds. Les Coréens, eux, répètent que ce qu'il y a de périlleux dans la route vers une médaille d'or olympique en short-track, ce sont les sélections pour intégrer l'équipe nationale. Une fois aux Jeux à proprement parler, la moindre des choses est de gagner.
A domicile, ils ont déjà remporté trois titres sur cinq possibles. Trois seront encore en jeu ce jeudi pour compléter le butin. Depuis l'apparition du patinage de vitesse sur piste courte (111,12 m) au programme olympique à Albertville en 1992, la Corée du Sud a récolté 46 médailles. C'est à la fois une large majorité des 60 qu'elle a décrochées
«Nous devions juste rester calme et nous faire confiance» SHIM SUKHEE, MÉDAILLÉE D’OR
aux Jeux olympiques d'hiver, et beaucoup plus que ses principaux concurrents: la Chine et le Canada n'en comptent que 31. Le shorttrack est le sport d'hiver numéro 1 en Corée du Sud, et la Corée du Sud est la nation numéro 1 en shorttrack.
Cela ne résulte pas du hasard mais d'une combinaison de facteurs historiques, morphologiques et culturels. Entre les années 80 et 90, la Corée du Sud a voulu se donner les moyens de briller dans une discipline hivernale. Le short-track – relativement récent et ne demandant pas des infrastructures gigantesques – était idéal: des ovales de glace ont été construits un peu partout et des équipes ont été constituées dans les écoles et les universités.
Petits et puissants
En moyenne relativement petits mais dotés de jambes puissantes, les Coréens avaient les prédispositions requises pour briller dans cette spécialité où la taille idéale se situe, selon les experts, entre 1m65 et 1m75. La culture locale de la compétition a fait le reste. Aujourd'hui, le short-track coréen est une machine qui produit des champions, des stars grand public, des entraîneurs qui s'exportent et, ces jours, des instants de communion populaire comme aucune autre discipline olympique.
Tout en arrondis d'un blanc immaculé, le Palais des glaces de Gangneung est l'une des constructions les plus impressionnantes de Pyeongchang 2018. Il accueille les compétitions de patinage artistique qui passionnent la planète entière. Mais pour faire l'expérience de la plus chaude ambiance des Jeux, il faut y venir l'un des cinq soirs où des athlètes aux cuisses énormes moulés dans leurs combinaisons substituent la vitesse et la stratégie à la grâce et à la poésie. Les 12000 places ne suffisent pas à satisfaire tous les amateurs de ces courses Nascar où les patins à glace remplacent les stock-cars, et les chutes, les carambolages. Au marché noir, des billets d'entrée s'échangeraient à plus de 400 francs suisses.
Mardi, les spectateurs sont venus se régaler d'un menu en trois services: les séries du 1000 m dames en entrée, celles du 500 m messieurs en plat principal, et les finales du relais 3000 m dames en dessert. Une heure et demie de show. Une heure et demie de démonstration du savoir-faire local.
L’art de la feinte
Pour la première des huit courses féminines, Shim Sukhee entre sur la glace sous les acclamations du public qui, très au fait de l'étiquette propre à la discipline, fait subitement silence alors que le coup d'envoi va être donné. Les concurrentes ont neuf tours à faire, qu'elles bouclent chacun en un peu moins d'une dizaine de secondes. La jeune Coréenne reste en embuscade puis, à deux tours de la fin, passe l'épaule sans forcer et termine en tête. Première victoire facile. Il y en aura deux autres chez les dames, puis trois de plus chez les hommes. Tous ses compatriotes remporteront leur série haut la main dans un brouhaha digne d'une patinoire de Ligue nationale A de hockey sur glace, un soir de finale de play-off.
En anglais, on parle de «shorttrack players», de «joueurs de short-track». Car la discipline ne se résume pas à une question de vitesse. Les concurrents usent de tactique et de feintes de corps pour dépasser. Exactement comme lors d'une course de voitures, celui qui est devant a la priorité. Il peut «piloter» pour contrecarrer les attaques de ses poursuivants. A ce petit jeu, la stratégie des Coréennes et des Coréens se résume souvent à attendre leur heure. En finale du relais, les quatre «joueuses» de l'équipe ont longtemps patienté en quatrième position, avant de se replacer, puis de virer en tête à deux tours de la fin seulement. «C'était une longue course, beaucoup de choses se sont passées, résumait Shim Sukhee en zone mixte. Nous devions juste rester calmes et nous faire confiance.» Le savoir-faire a fait le reste. ▅