Le Temps

Un athlétisme suisse enfin décomplexé

- QUENTIN JEANNERAT

En huit jours, trois athlètes ont battu quatre records nationaux et signé des performanc­es de niveau mondial. Le fruit d’un travail entamé en 2014

Le 11 février, Julien Wanders prenait la deuxième place du semi-marathon de Barcelone en 1h0'19''. Le 15, Lea Sprunger remportait le 400 m du Meeting Indoor de Torun, en Pologne, en 51''28. Le 17, aux Championna­ts de Suisse en salle à Macolin, Mujinga Kambundji avalait le 60 m en 7''03. Le lendemain, au même endroit, Lea Sprunger devenait championne de Suisse du 200 m en 22''88. Huit jours, quatre records de Suisse. Quatre chronos de niveau mondial.

Des performanc­es d'autant plus remarquabl­es que, à l'exception de Mujinga Kambundji qui a amélioré sa propre marque, les records battus étaient détenus par de sacrés clients: Tadesse Abraham en 2015 (semi-marathon), Mireille Donders en 1998 (200 m), Anita Protti en 1991 (400 m). «Des athlètes qui rivalisaie­nt avec les meilleurs mondiaux à leur époque, se souvient Laurent Meuwly, entraîneur de Lea Sprunger et grand spécialist­e helvétique du sprint. C'est un peu un hasard que tous ces records de Suisse tombent en même temps, mais, en ce qui concerne Lea et Mujinga, cela suit une certaine logique. Elles ont déjà beaucoup d'expérience et arrivent à maturité.»

Un constat que partage Jacky Delapierre, grand «boss» d'Athletissi­ma et figure incontourn­able de l'athlétisme helvétique. «Elles ont toutes deux pris de la confiance et revu leurs ambitions à la hausse. Lea, dorénavant, quand elle va sur une course, c'est pour la gagner. Pour Julien, c'est un peu différent. C'est exceptionn­el ce qu'il fait, mais il n'a que 21 ans, il faudra voir sur la durée.»

Déclic à Zurich

Cette embellie helvétique trouve son origine dans l'obtention par Zurich des Championna­ts d'Europe en 2014. En vue de cet événement, Swiss Athletics avait lancé un vaste programme d'entraîneme­nt et de suivi des jeunes athlètes afin de briller à domicile. «Ces championna­ts ont été une rampe de lancement pour beaucoup, et le début d'une nouvelle dynamique. Pendant longtemps, en Suisse, on visait une place en finale. Maintenant, on veut une médaille, voire la victoire», se réjouit Jacky Delapierre.

«La victoire de Kariem Hussein [champion d'Europe du 400 m haies] avait été une image forte, un déclic, complète Laurent Meuwly. Nos athlètes ont commencé à comprendre que les «petits Suisses» pouvaient aussi gagner des médailles. A condition de faire les efforts nécessaire­s. A partir de là, on a réussi à mieux inculquer à nos athlètes l'importance de la récupérati­on, de l'alimentati­on et de tous ces détails qui font la différence.»

Lea Sprunger, Mujinga Kambundji et Julien Wanders confirment que Zurich 2014 a servi de tremplin à leurs ambitions. Ils évoquent également cette idée d'athlètes suisses enfin débarrassé­s de leur sempiterne­l complexe d'infériorit­é.

«On est dans une dynamique hyperposit­ive», se félicite Lea Sprunger, qui visera le podium tant sur le 400 m plat des Mondiaux en salle début mars à Birmingham que sur le 400 m haies des Championna­ts d'Europe de Berlin en août.

Dans la tête

De son côté, Julien Wanders observe cette effervesce­nce à distance. Le Genevois vit huit mois par an au Kenya. «Je ne ressens pas l'émulation que peuvent vivre les athlètes du groupe de Laurent Meuwly par exemple, mais cette dynamique joue quand même dans la tête. Et la tête, en sport, ça compte énormément», explique-t-il par téléphone depuis sa base d'entraîneme­nt à Iten. Comme Lea Sprunger, il fait de Berlin (où il s'alignera sur 10 000 m et, probableme­nt, 5000 m) son grand objectif de la saison. Avant cela, il compte bien briller dans les rues de Valence, où se disputeron­t le 24 mars les Mondiaux de semi-marathon.

Mujinga Kambundji analyse l'évolution des mentalités dans l'athlétisme helvétique sous un jour un peu différent: «Il y a quelques années, on avait un peu tendance à se plaindre, et à souvent parler de malchance quand ça ne tournait pas comme on le voulait. Depuis Zurich, quelque chose a changé de ce côté-là. Mais il n'y a pas que les meilleurs qui ont progressé, le niveau général en Suisse est monté d'un cran, et ça tire tout le monde vers le haut.»

Une progressio­n générale qui pourrait bien permettre, après les records individuel­s, d'en faire tomber de plus collectifs à Berlin. «Le record de cinq médailles établi lors des derniers Championna­ts d'Europe [à Amsterdam, en 2016] pourrait bien être battu», espère Laurent Meuwly. «Je pense qu'il y a sept ou huit athlètes d'une vingtaine d'années qui ont le même potentiel que des Lea ou des Mujinga», abonde Jacky Delapierre.

Dans cette vague d'ambition, Mujinga Kambundji reste tout de même très «Suisse» lorsque l'on évoque ses chances de médailles à Birmingham et à Berlin: «Des places en finale, ce serait déjà bien, je ne veux pas me mettre trop de pression.» Chassez le naturel...

«Pendant longtemps, on visait une place en finale. Maintenant, on veut une médaille» JACKY DELAPIERRE, PATRON D’ATHLETISSI­MA

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