Le Temps

Enfant cherche stabilité, désespérém­ent

- A. DN.

«Jusqu’à la garde» évoque la violence conjugale dans une approche réaliste que rehausse une dimension dramatique

La scène s’étire longuement, à la façon de Cristian Mungiu, sans être un plan-séquence. Nous sommes dans le bureau du juge. Antoine (Denis Ménochet) et Miriam Besson (Léa Drucker), flanqués de leurs avocats, divorcent. Elle revendique la garde exclusive, arguant que son ex-mari est violent; il proteste. Elle est vive, lasse, anxieuse; il est lourd, comme écroulé sur lui-même, couvant d’anciennes colères. La magistrate tranche: ce sera garde partagée.

La victime de cette décision, c’est Julien, écartelé entre sa mère et «l’autre», comme elle appelle le père de ses enfants. C’est la mort dans l’âme que le gosse monte dans la voiture du père, pauvre otage d’une guerre implacable. Qui de la mère ou du père dit la vérité? Qui est une brute, qui est une vipère?

Jusqu’à la garde promet un suspense malheureus­ement trop vite éventé: comme on pouvait s’en douter dès la scène d’ouverture, c’est le père, le salaud. D’ailleurs, il s’engueule avec ses propres parents et, plus inquiétant, a la chasse pour hobby. S’ensuit un crescendo dramatique bien orchestré sur le mode naturalist­e avec le petit Julien forcé d’endosser un rôle qui le dépasse, de mentir par omission pour que les choses se tassent.

Coups de sonnette glaçants

La tension monte, le gamin crie «Dans ton cul!» à son père, mais c’est contre l’appuie-tête du siège de la voiture et non sur l’enfant rebelle que l’ogre passe sa colère. Il assiégera Miriam et Julien dans leur immeuble – ses coups de sonnette à répétition instillent une angoisse croissante. Pris de fureur homicide façon Shining, il saisit finalement son fusil de chasse… Filmée à nouveau en temps réel, comme un écho à la première, la scène finale démontre les conséquenc­es que peut entraîner une mauvaise décision de justice.

Après un premier court métrage, Avant que de tout perdre, salué dans de nombreux festivals, Xavier Legrand développe le sujet de la violence conjugale au format supérieur. Avec son titre d’une ambiguïté fertile, Jusqu’à la garde réussit l’alliage du suspense et du réalisme dans un décor quotidien assumant sa banalité (longue séquence sur le nettoyage de la salle des fêtes). Il démontre une grande maîtrise formelle mais ne parvient pas à transcende­r son «douloureux sujet», comme disent les sociologue­s de magazine. N’est pas les frères Dardenne qui veut… Prix de la mise en scène à Venise, Jusqu’à la garde reste un film pour Dossiers de l’écran.

«Jusqu’à la garde», de Xavier Legrand, avec Denis Ménochet, Léa Drucker, Mathilde Auneveux, Thomas Gioria. 1h33.

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