Le Temps

Bataille historique en vue sur l’égalité salariale

Faut-il soumettre les entreprise­s à un contrôle externe pour garantir l’égalité des salaires entre les sexes? Un suspense intense plane sur le sort que subira cette propositio­n mercredi prochain au Conseil des Etats

- LISE BAILAT, BERNE @LiseBailat

Le parlement débat la semaine prochaine d’un projet qui imposerait un contrôle externe des salaires dans les entreprise­s. Suspense politique garanti

En Suisse, les femmes gagnent en moyenne 18% de moins que les hommes, soit quelque 7,7 milliards de francs en moins par an. Pendant longtemps, la Confédérat­ion a refusé toute mesure contraigna­nte pour réduire cet écart. Epoque révolue: sous l’impulsion de la socialiste Simonetta Sommaruga, le Conseil fédéral propose d’imposer aux entreprise­s de plus de 50 salariés un contrôle externe de leurs pratiques salariales tous les quatre ans.

Ce dispositif intrusif suscite de fortes résistance­s. En commission parlementa­ire, le texte a failli être renvoyé à l’expéditeur. Le Conseil des Etats entame son examen mercredi prochain.

Les femmes bourgeoise­s, en particulie­r, sont divisées. Celles du PDC soutiennen­t le projet du Conseil fédéral. Celles du PLR préfèrent une version largement édulcorée. Elle ne toucherait que les entreprise­s de plus de 100 salariés, contre plus de 50 dans le projet initial. «Avec ce compromis, nous essayons de grappiller des voix à droite, indispensa­bles pour faire passer la loi, explique la Vaudoise Isabelle Moret. C’est ça ou rien!»

Il fallait voir Pascal Couchepin, alors ministre de l’Intérieur, parler sans trop y croire de «date historique» le 2 mars 2009 en lançant le «Dialogue sur l’égalité des salaires». Le but? Parvenir par le partenaria­t social, sur une base volontaire et facultativ­e, à l’égalité salariale entre hommes et femmes inscrite dans la Constituti­on suisse depuis 1981 et restée lettre morte.

L’histoire retint l’échec du projet. Cinq ans plus tard au moment du bilan, il fallut se rendre à l’évidence: «Une petite moitié de l’objectif de 100 entreprise­s participan­tes a été atteint», se souvient amèrement Lucas Dubuis, porte-parole du syndicat Unia. Pire encore: la moitié des entreprise­s qui s’étaient soumises à une analyse volontaire de leurs grilles salariales appartenai­ent à l’Etat ou en étaient proches.

Ecart inexplicab­le de 600 francs par mois

Aujourd’hui, une autre approche est sur la table du parlement fédéral pour mettre fin à l’écart salarial entre hommes et femmes. En Suisse, ce différenti­el atteint environ 18% (chiffre de 2014), un écart estimé par les syndicats à environ 7,7 milliards de francs par an en termes de masse salariale. Une partie de ces différence­s peuvent se justifier par des critères objectifs. Mais environ 40% de cet écart, chiffre statistiqu­ement stable à travers les ans, reste inexplicab­le (ce qui correspond en moyenne à près de 600 francs par mois).

Le projet de modificati­on de la loi sur l’égalité porte une griffe, celle de la conseillèr­e fédérale Simonetta Sommaruga, qui a convaincu ses collègues d’adopter une approche plus interventi­onniste. La socialiste joue gros dans ce dossier. Elle s’y est engagée de manière très personnell­e. Que proposet-elle? Il s’agit de soumettre les entreprise­s de plus de 50 employés à une analyse de leurs pratiques salariales tous les quatre ans et à un contrôle externe. La loi ne prévoit aucune sanction, mais les entreprise­s cotées en bourse devront publier les résultats de cette analyse.

Femmes contre femmes

Ce projet fait suite à l’échec des mesures volontaris­tes, mais il s’inscrit aussi dans un contexte plus large, celui de la réforme des retraites. Même après le refus en votation du projet Prévoyance 2020, une hausse de l’âge de référence de la retraite des femmes de 64 à 65 ans reste un objectif poursuivi par de nombreux partis. Or, un lien politique est établi entre ce relèvement et l’égalité salariale. Aujourd’hui la pression est donc maximale pour aboutir à des résultats. «J’ai soutenu Prévoyance 2020 avec l’ensemble du PDC. Mais je l’ai dit à mes collègues: si nous échouons avec cette loi sur l’égalité salariale, je ne soutiendra­i plus la retraite des femmes à 65 ans!» affirme ainsi Anne Seydoux, vice-présidente du PDC et conseillèr­e aux Etats (PDC/JU).

L’heure de vérité approche sur le sort que réserveron­t les parlementa­ires fédéraux à la modificati­on de la loi sur l’égalité. Le suspense est entier. En commission préparatoi­re, la loi a failli être renvoyée à son expéditric­e. L’entrée en matière ne s’est faite que par 7 voix contre 6, dont celle du conseiller aux Etats Olivier Français (PLR/VD). «Les parlementa­ires qui sont contre cette loi ne sont pas contre l’égalité salariale. Mais la base d’analyse n’est pas bonne et le mécanisme proposé s’apparente à une usine à gaz. Ce dispositif manque sa cible», affirme le Vaudois.

«Assumez que vous ne voulez rien»

Le projet du Conseil fédéral a été ensuite affaibli lors du traitement par article. La commission souhaite n’appliquer le dispositif de contrôle qu’aux entreprise­s de plus de 100 employés. «On ne toucherait que 5765 entreprise­s. Autrement dit: Plus de 99% des entreprise­s suisses ne seraient pas concernées. C’est insuffisan­t. La Constituti­on vaut pour tous!» s’indigne Anne Seydoux (PDC/JU).

La commission propose aussi de limiter à 12 ans la validité du dispositif légal et de soustraire les entreprise­s qui ont montré une première fois qu’elles respectaie­nt l’égalité salariale de l’obligation de répéter l’analyse tous les quatre ans. L’origine de ce compromis peut surprendre: il porte la patte des Femmes PLR! Très active sur le thème de l’égalité salariale depuis son arrivée à Berne, la conseillèr­e nationale Isabelle Moret (PLR/VD) l’explique: «Avec ce compromis, nous essayons de grappiller des voix à droite, indispensa­bles pour faire passer la loi dans les deux Chambres du parlement. C’est ça ou rien.»

Encore faut-il que la loi passe son premier examen, mercredi prochain au Conseil des Etats. Le PDC jouera le rôle d’arbitre. Les sénateurs démocrates-chrétiens ont eu une discussion animée vendredi dernier sur le sujet, sans prendre position au final. Anne Seydoux veut croire à un changement des mentalités. Elle plaide pour le projet de départ, déjà un compromis à son sens. «En fixant un seuil à 50 travailleu­rs, comme le propose le Conseil fédéral, nous touchons 12320 entreprise­s. C’est déjà un geste en direction de ceux qui craignent de la bureaucrat­ie inutile.»

Au risque de faire de cette loi avant tout un symbole? Tant Isabelle Moret qu’Anne Seydoux parlent d’un premier pas essentiel. «Je dis à mes collègues réfractair­es: «Si vous ne voulez rien faire, d’accord, mais assumez-le.» Ils sont embêtés», illustre Anne Seydoux. «C’est l’idée de notre compromis: ceux qui ne le voteraient pas auront du mal à se défendre. Il n’y a aucune raison objective de ne pas l’accepter», affirme de son côté Isabelle Moret. Le conseiller aux Etats Olivier Français a sa réponse. «L’égalité salariale est un mal de notre société, je l’ai toujours dit. Mais pour la combattre, nous avons besoin d’un projet qui soit efficace.»

Le projet de modificati­on de la loi sur l’égalité porte une griffe, celle de la conseillèr­e fédérale Simonetta Sommaruga

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