«Un Brexit incontrôlé reste possible»
Avant le sommet européen de ce vendredi, le commissaire aux Affaires économiques, Pierre Moscovici, a longuement rencontré «Le Temps». Il met la Suisse en garde contre les «malentendus»
Theresa May est-elle encore une interlocutrice crédible pour les 27 autres chefs d’Etat ou de gouvernement de l’Union européenne qui se retrouvent à nouveau ce vendredi pour un sommet informel d’une journée à Bruxelles? Après la nouvelle mise en garde, le 15 février, de son ministre des Affaires étrangère, Boris Johnson, contre «le risque de trahison» de la volonté populaire exprimée lors du référendum de 2016, la première ministre britannique apparaît plus que jamais écartelée et incapable d’avoir une vision claire de l’avenir des relations entre son pays et l’UE.
Résultat: tout reste possible, selon Pierre Moscovici, dont le titre du dernier livre, Dans ce clair-obscur surgissent les monstres (Plon), sonne comme un avertissement: «La première phase de négociation a démontré que la stratégie de la Commission était la bonne. La vérité systémique est de notre côté. Mais le problème est que nous avons face à nous des Britanniques désunis et dépourvus de stratégie. Donc attention: un Brexit incontrôlé reste une possibilité. On ne peut absolument pas l’exclure et notre négociateur Michel Barnier le sait bien. L’hypothèse d’un échec final demeure dans le radar.»
A 60 ans, Pierre Moscovici a choisi de regarder avec distance l’Europe, la France et aussi la Suisse, qu’il connaît bien (il nous répétera plusieurs fois avoir un lien ancien d’amitié avec le président de la Confédération, Alain Berset, revu lors du dernier Forum de Davos). Son essai, qui ne contient pas de scoops, se veut son propre droit d’inventaire sur le quinquennat de François Hollande, dont il fut un pilier, sur la Commission présidée par JeanClaude Juncker, dont il est l’un des principaux membres, et sur la présidence naissante d’Emmanuel Macron, dont il attend, à l’évidence, des propositions.
Une City réaliste
Mais, de tous les sujets, le Brexit est le plus fondamental. Commissaire chargé de la Fiscalité, l’ancien ministre socialiste des Finances n’exclut pas que les Brexiters, s’ils l’emportent face à Theresa May et si les négociations entre Londres et Bruxelles échouent, mettent en oeuvre une politique de dumping tous azimuts: «La tentation d’un modèle à la singapourienne, ultra-libéral, reste forte chez une partie des Brexiters. Ce n’est pas viable selon moi pour une économie comme le Royaume-Uni, intégrée à l’Europe et qui doit financer son secteur public. Mais certains en rêvent à voix haute. Alors que les opérateurs de la City, eux, ont compris qu’il s’agit d’une impasse…»
L’ancien député du Doubs se souvient de son premier déplacement officiel en Suisse, comme ministre du gouvernement de Lionel Jospin, le 28 octobre 1998. Il cite Flavio Cotti, mais peine en revanche à cerner la politique européenne de son lointain successeur, l’actuel conseiller fédéral Ignazio Cassis: «La donne est simple: la Suisse et l’UE ont besoin d’un cadre global et d’une relation de confiance. Lorsque celle-ci se dégrade comme en fin d’année 2017, les malentendus s’installent et les discussions en pâtissent. Donc sachons en tirer les leçons.» L’inclusion de la Suisse dans la liste «grise» des paradis fiscaux dressée par l’Union au début décembre? «Elle était logique. Mes contacts, depuis, m’ont rassuré sur la volonté de la Confédération. Si le dossier suit son cours en matière d’imposition des entreprises, comme mes interlocuteurs me l’ont affirmé, alors la sortie de cette liste, en décembre 2018, est possible.»
Grandes manoeuvres
Le commissaire français ne prend pas son temps avec les journalistes par hasard. Son livre est une façon claire de se positionner dans le débat, un an avant les élections européennes de juin 2019, et alors qu’une série de nominations, cette semaine, de hauts fonctionnaires au sein de la Commission anticipe la fin de l’ère Juncker. Face à François Hollande, Européen de coeur mais rarement à la manoeuvre lors des Conseils européens, Pierre Moscovici incarnait le débat communautaire. Rien de tel avec Emmanuel Macron, omniprésent sur ce terrain.
Le nom de l’ex-dirigeant socialiste circule donc comme future tête de liste aux européennes, comme possible ministre dans un gouvernement Macron II ou comme président de la Cour des comptes. Rumeurs? Preuve que le grand recasage a commencé pour cette dernière année de la commission Juncker? Côté suisse, l’intéressé a été invité à participer, en juin, à une conférence sur la fiscalité des multinationales à Lausanne. «Je dois voir où je peux être le plus utile: à l’Europe, à la France, à la gauche…», expliquet-il au Temps. A bon entendeur.
«La tentation d’un modèle à la singapourienne reste forte chez certains Brexiters» PIERRE MOSCOVICI