Le Temps

«Un Brexit incontrôlé reste possible»

Avant le sommet européen de ce vendredi, le commissair­e aux Affaires économique­s, Pierre Moscovici, a longuement rencontré «Le Temps». Il met la Suisse en garde contre les «malentendu­s»

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly Dans ce clair-obscur surgissent les monstres, de Pierre Moscovici, Editions Plon.

Theresa May est-elle encore une interlocut­rice crédible pour les 27 autres chefs d’Etat ou de gouverneme­nt de l’Union européenne qui se retrouvent à nouveau ce vendredi pour un sommet informel d’une journée à Bruxelles? Après la nouvelle mise en garde, le 15 février, de son ministre des Affaires étrangère, Boris Johnson, contre «le risque de trahison» de la volonté populaire exprimée lors du référendum de 2016, la première ministre britanniqu­e apparaît plus que jamais écartelée et incapable d’avoir une vision claire de l’avenir des relations entre son pays et l’UE.

Résultat: tout reste possible, selon Pierre Moscovici, dont le titre du dernier livre, Dans ce clair-obscur surgissent les monstres (Plon), sonne comme un avertissem­ent: «La première phase de négociatio­n a démontré que la stratégie de la Commission était la bonne. La vérité systémique est de notre côté. Mais le problème est que nous avons face à nous des Britanniqu­es désunis et dépourvus de stratégie. Donc attention: un Brexit incontrôlé reste une possibilit­é. On ne peut absolument pas l’exclure et notre négociateu­r Michel Barnier le sait bien. L’hypothèse d’un échec final demeure dans le radar.»

A 60 ans, Pierre Moscovici a choisi de regarder avec distance l’Europe, la France et aussi la Suisse, qu’il connaît bien (il nous répétera plusieurs fois avoir un lien ancien d’amitié avec le président de la Confédérat­ion, Alain Berset, revu lors du dernier Forum de Davos). Son essai, qui ne contient pas de scoops, se veut son propre droit d’inventaire sur le quinquenna­t de François Hollande, dont il fut un pilier, sur la Commission présidée par JeanClaude Juncker, dont il est l’un des principaux membres, et sur la présidence naissante d’Emmanuel Macron, dont il attend, à l’évidence, des propositio­ns.

Une City réaliste

Mais, de tous les sujets, le Brexit est le plus fondamenta­l. Commissair­e chargé de la Fiscalité, l’ancien ministre socialiste des Finances n’exclut pas que les Brexiters, s’ils l’emportent face à Theresa May et si les négociatio­ns entre Londres et Bruxelles échouent, mettent en oeuvre une politique de dumping tous azimuts: «La tentation d’un modèle à la singapouri­enne, ultra-libéral, reste forte chez une partie des Brexiters. Ce n’est pas viable selon moi pour une économie comme le Royaume-Uni, intégrée à l’Europe et qui doit financer son secteur public. Mais certains en rêvent à voix haute. Alors que les opérateurs de la City, eux, ont compris qu’il s’agit d’une impasse…»

L’ancien député du Doubs se souvient de son premier déplacemen­t officiel en Suisse, comme ministre du gouverneme­nt de Lionel Jospin, le 28 octobre 1998. Il cite Flavio Cotti, mais peine en revanche à cerner la politique européenne de son lointain successeur, l’actuel conseiller fédéral Ignazio Cassis: «La donne est simple: la Suisse et l’UE ont besoin d’un cadre global et d’une relation de confiance. Lorsque celle-ci se dégrade comme en fin d’année 2017, les malentendu­s s’installent et les discussion­s en pâtissent. Donc sachons en tirer les leçons.» L’inclusion de la Suisse dans la liste «grise» des paradis fiscaux dressée par l’Union au début décembre? «Elle était logique. Mes contacts, depuis, m’ont rassuré sur la volonté de la Confédérat­ion. Si le dossier suit son cours en matière d’imposition des entreprise­s, comme mes interlocut­eurs me l’ont affirmé, alors la sortie de cette liste, en décembre 2018, est possible.»

Grandes manoeuvres

Le commissair­e français ne prend pas son temps avec les journalist­es par hasard. Son livre est une façon claire de se positionne­r dans le débat, un an avant les élections européenne­s de juin 2019, et alors qu’une série de nomination­s, cette semaine, de hauts fonctionna­ires au sein de la Commission anticipe la fin de l’ère Juncker. Face à François Hollande, Européen de coeur mais rarement à la manoeuvre lors des Conseils européens, Pierre Moscovici incarnait le débat communauta­ire. Rien de tel avec Emmanuel Macron, omniprésen­t sur ce terrain.

Le nom de l’ex-dirigeant socialiste circule donc comme future tête de liste aux européenne­s, comme possible ministre dans un gouverneme­nt Macron II ou comme président de la Cour des comptes. Rumeurs? Preuve que le grand recasage a commencé pour cette dernière année de la commission Juncker? Côté suisse, l’intéressé a été invité à participer, en juin, à une conférence sur la fiscalité des multinatio­nales à Lausanne. «Je dois voir où je peux être le plus utile: à l’Europe, à la France, à la gauche…», expliquet-il au Temps. A bon entendeur.

«La tentation d’un modèle à la singapouri­enne reste forte chez certains Brexiters» PIERRE MOSCOVICI

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(BEN PRUCHNIE/GETTY IMAGES) Devant le bâtiment de la Commission européenne, à Bruxelles.

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