Le Temps

Le PS s’essaie à l’«Economie 4.0»

- BERNARD WUTHRICH, BERNE @BdWuthrich

Après deux ans de tergiversa­tions, le Parti socialiste s’apprête à adopter le volet économique de son programme. Mais les courants centristes et anticapita­listes continuent de s’opposer à l’interne

Le Parti socialiste aura enfin un programme économique. Il lui court après depuis deux ans, mais, tiraillé entre une aile réformiste sociale-libéral et un front anticapita­liste et syndical, il n'est pas encore parvenu à trouver un dénominate­ur commun. Une étape importante sera franchie samedi: réuni en assemblée des délégués à Altdorf (Uri), le PS adoptera un concept intitulé «Economie 4.0». Mais le document de travail élaboré sous la houlette du conseiller national Beat Jans (BS) sera immanquabl­ement modifié. Près de 350 personnes ont mis leur grain de sel dans le projet, et le rapport qui est ressorti de ces cogitation­s fait encore l'objet de 60 demandes d'amendement qui, toutes, seront discutées samedi.

Le PS est secoué depuis toujours par des courants centrifuge­s en matière économique. En novembre 2016, un texte de réflexion sur la «démocratie économique» a mis le feu aux poudres. Il insistait notamment sur le pouvoir de codécision des salariés dans les entreprise­s et relançait l'idée de «dépassemen­t du capitalism­e». Cela n'a pas plu aux plus centristes, qui s'en sont distanciés et ont formelleme­nt donné naissance à un courant réformiste à l'intérieur du PS. Presque exclusivem­ent alémanique, il est piloté par une vingtaine de membres du parti, dont les poids lourds fédéraux Pascale Bruderer (AG), Daniel Jositsch (ZH), Chantal Galladé (ZH), Evi Allemann (BE), Claude Janiak (BL), Tim Guldimann (ZH) ainsi que le maire de Bienne, Erich Fehr, les anciens conseiller­s d'Etat Erwin Jutzet (FR) et Andreas Rickenbach­er (BE) ou encore l'ancien patron des CFF Benedikt Weibel.

S’agissant de la numérisati­on, elle n’est «ni bonne ni mauvaise» aux yeux du PS

Ensemble, ils ont développé des contre-thèses dans l'espoir de rééquilibr­er une stratégie qui s'annonçait trop marquée à gauche. Beat Jans s'est efforcé d'intégrer toutes les sensibilit­és dans les groupes de travail qui ont élaboré «Economie 4.0». Le document qu'il présente samedi succédera au précédent programme économique, qui date de 2006. Or, en douze ans, tout a changé notamment sous l'effet de la digitalisa­tion de l'économie et de la société. «Economie 4.0» comprend dix-huit thèses regroupées en trois thématique­s: investisse­ments, équité des règles, cogestion.

Le PS met l'accent sur la formation, une meilleure répartitio­n du travail, un fonds d'avenir financé par les bénéfices de la BNS, le développem­ent durable, l'imposition du capital et des opérations financière­s, la lutte contre l'évasion fiscale, les énergies renouvelab­les, le renforceme­nt du partenaria­t social, le droit de cogestion des salariés, l'égalité des femmes, la démocratis­ation des institutio­ns internatio­nales, le renforceme­nt des services publics, les «entreprise­s sociales», le commerce solidaire. S'agissant de la numérisati­on, elle n'est «ni bonne ni mauvaise» aux yeux du PS, qui demande que «les gains de productivi­té profitent davantage à chacun que ce n'est le cas aujourd'hui».

Et la globalisat­ion?

Avec ce programme, Beat Jans pense avoir réussi à concilier les revendicat­ions des différents courants qui animent le parti. Dans les faits, ce n'est qu'à moitié réussi. Si elle salue «l'abandon des objectifs utopiques» de la première version présentée en 2016, la fronde réformiste défendra samedi quatre motions qui montrent qu'elle ne se reconnaît pas pleinement dans «Economie 4.0». Elle estime que la manière dont le PS présente les réalités du monde économique – les «personnes actives» sont opposées aux «leaders du monde» et aux «investisse­urs» – n'est pas correcte. Cela sent la «lutte des classes», reproche-t-elle. Elle aimerait que le PS mette mieux en avant la valeur des start-up et «des gens qui sont prêts à se lancer comme indépendan­ts».

Les réformiste­s reprochent aussi à la direction du parti de mettre trop l'accent sur les risques de la numérisati­on par rapport aux opportunit­és qu'elle offre. «Nous avons fait la liste des avantages et des inconvénie­nts de manière équilibrée», réplique Beat Jans. Autre grief: la globalisat­ion est présentée de manière trop négative. Les réformiste­s contestent le fait que la démocratie et la «souveraine­té des Etats nations» fassent partie des «perdants» du libre-échange. Enfin, ils aimeraient que le programme économique du PS reconnaiss­e l'«économie sociale de marché», un pas que la direction du PS n'est pas prête à franchir. «Nous mettons l'accent sur le fait que, ces dernières décennies, la population n'a pas profité de la croissance économique. Ceux qui travaillen­t doivent en profiter», réplique Beat Jans pour justifier sa retenue sur ce sujet.

Quant aux Jeunes socialiste­s (JUSO), ils ont des aspiration­s diamétrale­ment opposées à celles des sociaux-libéraux. Ils reprochent à «Economie 4.0» de laisser de côté la notion de «dépassemen­t du capitalism­e». Ils remettent aussi en question la propriété privée et exigent la cogestion des travailleu­rs dans les entreprise­s. Entre ces deux pôles, la marge de manoeuvre de la direction du parti est étroite.

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