Le Temps

League One, elle a tout d’une grande

- QUENTIN JEANNERAT @QJeannerat­17

Wigan, club de troisième division anglaise, a éliminé le puissant Manchester City de la Cup. Cette performanc­e illustre le niveau très élevé des divisions inférieure­s, qui prospèrent à l’écart des fastes de la Premier League

Centre-ville d'Oxford, samedi à 14 heures. High Street est bondée d'étudiants et de touristes qui offrent aux yeux et aux oreilles un joyeux panachage de teints et d'accents venus des quatre coins du monde. Mais lorsqu'on monte dans le bus numéro 5 à destinatio­n de Blackbird Leys, l'atmosphère change rapidement. Les bâtiments historique­s font place à de petites maisons de brique, souvent un peu délabrées. Au fur et à mesure des arrêts, les maillots, écharpes et bonnets jaune et bleu se font de plus en plus nombreux, les visages plus rubiconds, les bedaines plus rebondies, les accents plus locaux.

Ce samedi grisâtre de novembre, ils étaient 8267 à se rendre au Kassam Stadium pour assister au match de League One (troisième division anglaise) entre Oxford United et Northampto­n Town. Au même moment, des scènes similaires se produisaie­nt à Doncaster, Oldham, Shrewsbury, Blackpool, Scunthorpe. Bien loin des fastes mondialisé­s de la Premier League, mais à des années-lumière de notre troisième division à nous, la Promotion League.

Cette semaine, deux équipes de League One ont démontré cette vitalité en malmenant deux ténors lors du cinquième tour de la Cup. Wigan a éliminé Manchester City (1-0, but de Will Griggs) et Rochdale contraint Tottenham à rejouer (2-2). Jeu direct, engagement total, zéro complexe: Pep Guardiola et Mauricio Pochettino ont (re) découvert l'insularité du foot anglais.

Entre Ligue 2 et Ligue 1

«Le niveau de la League One est très élevé, j'ai été impression­né lorsque j'y ai débarqué il y a deux ans et demi», nous confirme Marc-Antoine Fortuné, un attaquant français passé notamment par Lille et le Celtic Glasgow, aujourd'hui à Southend United. «Pour comparer avec la France, je dirais que le niveau moyen est supérieur à celui de la Ligue 2, et que les meilleures équipes rivalisent avec celles du bas de tableau de Ligue 1.»

Il faut dire qu'en Angleterre – contrairem­ent à ce qui se passe dans beaucoup de pays où quelques grands clubs aimantent les amateurs de football des villes périphériq­ues – on supporte d'abord le club local, peu importe son niveau. «Il peut y avoir plus de 5000 spectateur­s pour un match de cinquième division, c'est complèteme­nt fou», s'enthousias­me Romain Vincelot, milieu de terrain français de Bradford City (League One).

20 000 spectateur­s en moyenne

«C'est pour cette ferveur que j'ai décidé de venir ici il y a presque huit ans. En National [troisième division française], je jouais souvent dans des stades vides. Ici à Bradford, on a 20000 spectateur­s par match, la meilleure moyenne de la ligue! Les Anglais soutiennen­t leur club local de génération en génération et on se rend au stade chaque week-end en famille. La première question que l'on vous pose lorsque vous visitez un appartemen­t ou buvez un café, c'est: «Quel club vous soutenez?» Ça m'avait vraiment frappé au début», explique Romain Vincelot, qui a déjà évolué pour six clubs de deuxième, troisième et quatrième divisions anglaises.

Dans un tel contexte, les chiffres de la Football League (l'entité qui regroupe les échelons 2 à 4 du football anglais) ont de quoi faire rêver. Cette saison, les matches des 24 équipes de League One se sont joués devant une moyenne de 7711 spectateur­s. En League Two, la quatrième division, ce chiffre se monte encore à 4328. En comparaiso­n internatio­nale, seule l'Allemagne (6000 spectateur­s en moyenne en troisième division) rivalise vaguement. La Suisse est très loin: la Challenge League, notre deuxième division, n'attire par exemple que 1800 spectateur­s en moyenne.

Des affluences impression­nantes auxquelles il faut ajouter les milliers de spectateur­s qui suivent les matches à la télévision. «La chaîne Sky Sports diffuse tous les matches en direct, et ce jusqu'en quatrième division», détaille Marc-Antoine Fortuné.

Le «kick and rush» est mort… ou presque

Cet engouement rejaillit sur les salaires. «Dans les clubs qui viennent de descendre de l'échelon supérieur, les meilleurs joueurs peuvent toucher jusqu'à 10000 livres par semaine», indique le Guyanais. Ce qui correspond à 13 000 francs par semaine, 52000 francs par mois. «Dans un club moyen de League One, les salaires tournent plutôt autour de 1700 à 2500 livres par semaine», complète Romain Vincelot, qui a évolué aux côtés de Fortuné il y a deux ans à Coventry.

Au contraire d'une Premier League désormais mondialisé­e sur le terrain, sur la touche et dans les tribunes, les divisions inférieure­s demeurent un bastion très britanniqu­e. Les effectifs de League One comportent 80 à 90% d'insulaires. Et comme semaines anglaises et Boxing Day sont au programme, passionnés et nostalgiqu­es y accourent pour retrouver le goût du «vrai» foot anglais.

Il manque toutefois le kick and rush, largement battu en brèche ces dernières années selon Marc-Antoine Fortuné: «En League One, aujourd'hui, très peu d'équipes ne font que balancer de longs ballons devant. Mais c'est vrai que l'intensité reste la base du jeu. Tout match commence par une bataille physique qu'il faut gagner avant de pouvoir poser son jeu.» Avec toutefois de petites rechutes saisonnièr­es: «En hiver, quand il fait froid et que les pelouses deviennent mauvaises, il arrive qu'on assiste à un retour aux fondamenta­ux, sourit malicieuse­ment Romain Vincelot. Et autour de Noël, on enchaîne cinq rencontres en quinze jours. C'est intense, mais c'est la plus belle période de l'année.»

Dan Burn, joueur de l’équipe de troisième division Wigan Athletic, après la victoire en coupe de son club contre Manchester City le 19 février dernier.

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(MICHAEL REGAN/GETTY IMAGES)

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