Le Temps

Macron, la tentation autoritair­e et l’inquiétude française

- RICHARD WERLY @LTwerly

Fallait-il, pour réformer la SNCF, en passer par la procédure parlementa­ire accélérée des ordonnance­s? Et que penser d'un gouverneme­nt présumé centriste qui affirme défendre les intérêts des usagers du rail contre ceux des salariés des chemins de fer? La première réponse consiste à invoquer le souci «d'efficacité» d'Emmanuel Macron, qui, dans son livre Révolution (Ed. XO), théorisait déjà l'idée de réformes express en début de quinquenna­t, pour éviter l'enlisement à la François Hollande. Seconde explicatio­n: la fidélité de l'équipe au pouvoir – arrivée là contre les partis traditionn­els et contre les élus – à une forme de populisme pour contourner les «corps intermédia­ires» jugés obsolètes. En gros: inutile de perdre du temps avec syndicats et journalist­es puisque ceux-ci sont de moins en moins représenta­tifs…

Jusque-là, la méthode énoncée par le premier ministre Edouard Philippe n'a donc rien de nouveau. Sauf qu'un autre débat, au-delà de la SNCF, commence à prendre forme au fur et à mesure de la partie de «poker» jouée par l'Elysée, comme l'a écrit Gérard Courtois dans Le Monde. Les termes de ce débat viennent d'être posés lors d'un passionnan­t séminaire de Pierre Rosanvallo­n au Collège de France sur «La démocratie à l'âge de la post-vérité». Plusieurs intervenan­ts s'y sont publiqueme­nt interrogés sur les véritables intentions présidenti­elles. Les accents populistes d'Emmanuel Macron cacheraien­t-ils un goût prononcé pour les solutions expéditive­s, autoritair­es, imposées d'en haut? Faut-il se méfier de ce chef de l'Etat quadragéna­ire, auteur d'un parfait hold-up démocratiq­ue, sur lequel l'historien Jean-Noël Jeanneney s'interrogea­it dans son livre Le Moment Macron (Ed. Seuil)? «La façon dont il a été élu et la nature même des institutio­ns françaises créent le risque d'un cercle de courtisans voué à couper le chef de la réalité», expliquait l'an dernier ce fin observateu­r de la vie politique hexagonale. Et de questionne­r: «Macron possède-t-il le sens du cocasse? Qualité indispensa­ble au recul sur soi-même et sur les choses comme l'avaient ces grands hommes d'Etat que furent Clemenceau, de Gaulle ou Churchill.»

J'ai repensé à cette phrase de JeanNoël Jeanneney en parcourant, cette semaine, le portrait du «Tigre» écrit par le président français dans le numéro spécial de l'hebdomadai­re Le 1 consacré à Clemenceau. Pas un mot, dans ce texte, sur les qualités de pamphlétai­re de celui qui trouva son titre au fameux «J'accuse» d'Emile Zola. Pas une référence au goût de l'élu vendéen pour les arts (il était ami du peintre Claude Monet), pour la polémique, pour le journalism­e et pour les joutes parlementa­ires (au point de provoquer en duel le nationalis­te Paul Déroulède). Tout n'est, dans ce portrait, qu'hommage au caractère martial de celui qui, à 76 ans en novembre 1917, devint président du Conseil. Sous la plume macronienn­e, Clemenceau illustre «un amour et un respect du soldat se confondant avec son amour de la France». «Il y avait chez ce Père la Victoire obstiné et bougon, infatigabl­e et querelleur, quelque chose de mystérieus­ement chevaleres­que, poursuit-il. Une sorte d'idéalisme des temps anciens se colletant avec la réalité la plus rude et la plus cruelle, et y trouvant de quoi s'exalter»…

La «tentation autoritair­e» d'Emmanuel Macron est sans surprise le refrain favori de tous ceux que la monarchie républicai­ne française a toujours insupporté­s. Les sociaux-démocrates patentés et théoricien­s des corps intermédia­ires, comme Pierre Rosanvallo­n, ne peuvent que s'indigner de ce président si «jupitérien». Mais la question de son autoritari­sme caché mérite quand même d'être posée, au moment où les coups de boutoir contre la démocratie parlementa­ire se multiplien­t en Europe, comme le souligne l'étude Où va la démocratie? de la Fondation pour l'innovation politique (fondapol.org).

Elle est aussi justifiée par le portrait décapant que livre Vincent Jauvert dans son livre Les Intouchabl­es d’Etat (Ed. Robert Laffont) sur cette caste de hauts fonctionna­ires qui trustent tous les postes clefs et s'affranchis­sent de bien des règles. Dans son chapitre savoureux «Fromage et desserts», le journalist­e de L'Obs raconte la morgue – et les avantages indus – des inspecteur­s des finances, cette caste dont l'hôte de l'Elysée est issu et dont les ministères sont truffés. Conclusion: Emmanuel Macron tranche sans doute avec ses prédécesse­urs parce qu'il utilise à fond les institutio­ns, qu'il sait où il va, et qu'il croit en son étoile. Mais gare à l'ivresse que ce type de présidence peut engendrer…

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