Le Temps

La série «Friends», le rire de trop?

- AÏNA SKJELLAUG @aina_skjellaug

Je suis retombée sur des épisodes de Friends. Allez comprendre, il y a toujours une chaîne au fond de la télécomman­de qui repasse ce genre de programme. Faut dire, avec mes soeurs, on était absolument fans de cette série. Et je le demeure: dès la première scène, j’ai recommencé à rire, beaucoup, avec une pointe de nostalgie sans doute, mais en fait non. Je trouve Friends toujours aussi drôle.

Le problème, c’est que je devrais avoir honte. En tant que millennial, il semble qu’il s’agit désormais de considérer Friends moins comme une affaire vintage que comme profondéme­nt homophobe (tous ces mecs qui ont tellement peur qu’on les prenne pour des gays), «grossophob­e» (toutes ces plaisanter­ies sur les kilos en trop de Monica jeune) et carrément raciste (seulement deux personnage­s non blancs en 236 épisodes!)

Il faudrait désormais contextual­iser Friends afin de supporter de regarder une horreur pareille. Ça m’a fait drôle, si l’on peut dire. Il m’est longtemps apparu que l’humour sur beaucoup de choses avait été une sorte de conquête, une liberté. Je me rappelle avoir lu que La Grande Vadrouille, en 1966, avait ainsi été un marqueur français: on pouvait enfin rire de la guerre et se moquer des nazis. Les Aventures de Rabbi Jacob, encore de Funès, en 1973: si vous regardez ce film, aujourd’hui, vous vous demandez à chaque scène comment tous ces clichés sur les Juifs ont fait à ce point se gondoler les spectateur­s sans interventi­on de la LICRA. Ce sont juste des exemples. On pourrait ajouter des dizaines de couverture­s de Hara-Kiri ou de Charlie Hebdo, évidemment, et des tas d’autres humoristes, à commencer par Coluche. Toujours avec ce sentiment qu’il fallait franchir des lignes, apprendre à rire pour apprendre à comprendre, à oser.

Je sens la régression, maintenant. Le retour en arrière m’a frappée de plein fouet devant Friends. Cette petite musique de la pensée correcte, de plus en plus forte, expliquant ce dont on peut rire ou pas, avec qui, dans quel contexte, entre telle et telle heure. Parti comme ça, on aura bientôt droit à un code de l’humour, 300 pages au moins, dos carré, relié, dans la bibliothèq­ue. «Bienvenue dans le monde réel! Ça craint. Tu vas adorer!», disait Monica à Rachel dans Friends.n

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