La Russie dénonce la stratégie nucléaire américaine
Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov est intervenu mercredi à la Conférence du désarmement à Genève. Il s’en est pris aux Etats-Unis dont aucun ministre n’a jugé nécessaire de faire le déplacement
Mercredi à la tribune de la Conférence du désarmement des Nations unies, qui est dans l'impasse depuis plus de vingt ans, Sergueï Lavrov avait le regard sombre. Dans une atmosphère tendue qui rappelle la Guerre froide, le ministre russe des Affaires étrangères a débité à la vitesse d'un TGV son réquisitoire contre les armes nucléaires et contre l'attitude des Etats-Unis. A quelques pas de lui, l'ambassadeur américain Robert Wood, qui est arrivé à Genève sous l'ère Obama, prenait des notes. D'un côté un ministre, de l'autre un ambassadeur. Le retrait réel des Etats-Unis à Genève se fait sentir. Aucun ambassadeur n'est pour l'heure nommé pour diriger l'énorme mission des Etats-Unis sur les hauts de Pregny-Chambésy. Aucun ambassadeur au Conseil des droits de l'homme (CDH).
Le diplomate russe a commencé par une note positive, confirmant que son pays était en conformité avec les limites fixées par le nouveau traité Start de réduction des armes stratégiques conclu avec les EtatsUnis. Il a rappelé que la Russie a réduit de 85% ses arsenaux nucléaires depuis le pic de la Guerre froide. Mais il a ensuite rapidement fustigé l'attitude de Washington, en particulier sa nouvelle posture nucléaire. La volonté américaine de recourir à des armes nucléaires de plus faible puissance va «baisser le seuil» à partir duquel de telles armes pourraient être utilisées.
Contre-attaque sur la Syrie
Omettant de souligner que la Russie disposait d'un nombre considérablement plus élevé d'armes nucléaires tactiques, mais sur son sol, Sergueï Lavrov n'a pas mâché ses mots: «Le désarmement est entravé par le maintien d'armes nucléaires non stratégiques américaines en Europe accompagné d'une pratique déstabilisatrice de missions communes nucléaires.» Et le ministre de dramatiser la situation: «Les membres non nucléaires de l'OTAN participent à la planification de l'utilisation des armes non stratégiques et sont encouragés à former des compétences. […] Tout le monde comprendra
«Les militaires des Etats-Unis préparent les forces armées des pays de l’Europe à employer ces armes nucléaires tactiques contre la Russie» SERGUEÏ LAVROV
que ce faisant, les militaires des Etats-Unis préparent les forces armées des pays de l'Europe à employer ces armes nucléaires tactiques contre la Russie.» Le ministre russe a invité les Etats européens à refuser le maintien de telles armes sur leur territoire, rappelant les conséquences dramatiques de leur utilisation à Hiroshima et à Nagasaki.
L'ambassadeur américain Robert Wood a contre-attaqué sur la question syrienne, dénonçant avec véhémence le fait que la Russie dément toute utilisation d'armes chimiques par Damas dans les affrontements qui déchirent actuellement la Ghouta orientale. «Il est incroyable que la Russie continue de nier la responsabilité (syrienne) dans l'utilisation d'armes chimiques.»
La confrontation entre Moscou et Washington s'est poursuivie mercredi au Conseil des droits de l'homme. Sergueï Lavrov a dénoncé la tendance de certains Etats, sous-entendu les Etats-Unis, à trier entre les «bons et mauvais terroristes», et a promis que son pays allait soutenir sans limites Damas pour éradiquer une fois pour toutes la menace terroriste en Syrie.
Une question simple
Peu regardant du droit international en Syrie, où certaines organisations des droits de l'homme parlent de crimes de guerre commis par les forces syriennes et russes, le chef de la diplomatie russe a fait la leçon à Washington. Il a rappelé que pour combattre efficacement le terrorisme, il importe de se conformer au droit international. «A cet égard, nous sommes très préoccupés par la décision de l'administration américaine de maintenir ouverte la prison illégale de Guantanamo où des gens, détenus sans charge ou sans procès, sont régulièrement soumis à la torture.» Sergueï Lavrov s'est ensuite demandé: «Quoi qu'on pense de Saddam Hussein et de Mouammar Kadhafi, ceux qui les ont renversés doivent se poser une question simple: «Est-ce que ces interventions illégitimes ont réduit la souffrance des peuples, ontelles permis de protéger l'un des droits humains les plus fondamentaux, le droit à la vie?» La réponse est évidente.»
Du côté américain, pas de ministre ni d'ambassadeur pour répondre aux attaques russes au CDH, mais Mary Catherine Phee, secrétaire d'Etat adjointe ad interim dépêchée de Washington. La diplomate a vertement critiqué une institution qui laisse intervenir à sa tribune les auteurs de graves violations des droits de l'homme, notamment Ali-Reza Avaie, ministre iranien de la Justice, accusé par les Moudjahidin du peuple d'être impliqué dans les massacres de 1988 en Iran. Mais au sujet de la Russie, pas un mot.
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