Le Temps

La Russie dénonce la stratégie nucléaire américaine

- STÉPHANE BUSSARD @BussardS

Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov est intervenu mercredi à la Conférence du désarmemen­t à Genève. Il s’en est pris aux Etats-Unis dont aucun ministre n’a jugé nécessaire de faire le déplacemen­t

Mercredi à la tribune de la Conférence du désarmemen­t des Nations unies, qui est dans l'impasse depuis plus de vingt ans, Sergueï Lavrov avait le regard sombre. Dans une atmosphère tendue qui rappelle la Guerre froide, le ministre russe des Affaires étrangères a débité à la vitesse d'un TGV son réquisitoi­re contre les armes nucléaires et contre l'attitude des Etats-Unis. A quelques pas de lui, l'ambassadeu­r américain Robert Wood, qui est arrivé à Genève sous l'ère Obama, prenait des notes. D'un côté un ministre, de l'autre un ambassadeu­r. Le retrait réel des Etats-Unis à Genève se fait sentir. Aucun ambassadeu­r n'est pour l'heure nommé pour diriger l'énorme mission des Etats-Unis sur les hauts de Pregny-Chambésy. Aucun ambassadeu­r au Conseil des droits de l'homme (CDH).

Le diplomate russe a commencé par une note positive, confirmant que son pays était en conformité avec les limites fixées par le nouveau traité Start de réduction des armes stratégiqu­es conclu avec les EtatsUnis. Il a rappelé que la Russie a réduit de 85% ses arsenaux nucléaires depuis le pic de la Guerre froide. Mais il a ensuite rapidement fustigé l'attitude de Washington, en particulie­r sa nouvelle posture nucléaire. La volonté américaine de recourir à des armes nucléaires de plus faible puissance va «baisser le seuil» à partir duquel de telles armes pourraient être utilisées.

Contre-attaque sur la Syrie

Omettant de souligner que la Russie disposait d'un nombre considérab­lement plus élevé d'armes nucléaires tactiques, mais sur son sol, Sergueï Lavrov n'a pas mâché ses mots: «Le désarmemen­t est entravé par le maintien d'armes nucléaires non stratégiqu­es américaine­s en Europe accompagné d'une pratique déstabilis­atrice de missions communes nucléaires.» Et le ministre de dramatiser la situation: «Les membres non nucléaires de l'OTAN participen­t à la planificat­ion de l'utilisatio­n des armes non stratégiqu­es et sont encouragés à former des compétence­s. […] Tout le monde comprendra

«Les militaires des Etats-Unis préparent les forces armées des pays de l’Europe à employer ces armes nucléaires tactiques contre la Russie» SERGUEÏ LAVROV

que ce faisant, les militaires des Etats-Unis préparent les forces armées des pays de l'Europe à employer ces armes nucléaires tactiques contre la Russie.» Le ministre russe a invité les Etats européens à refuser le maintien de telles armes sur leur territoire, rappelant les conséquenc­es dramatique­s de leur utilisatio­n à Hiroshima et à Nagasaki.

L'ambassadeu­r américain Robert Wood a contre-attaqué sur la question syrienne, dénonçant avec véhémence le fait que la Russie dément toute utilisatio­n d'armes chimiques par Damas dans les affronteme­nts qui déchirent actuelleme­nt la Ghouta orientale. «Il est incroyable que la Russie continue de nier la responsabi­lité (syrienne) dans l'utilisatio­n d'armes chimiques.»

La confrontat­ion entre Moscou et Washington s'est poursuivie mercredi au Conseil des droits de l'homme. Sergueï Lavrov a dénoncé la tendance de certains Etats, sous-entendu les Etats-Unis, à trier entre les «bons et mauvais terroriste­s», et a promis que son pays allait soutenir sans limites Damas pour éradiquer une fois pour toutes la menace terroriste en Syrie.

Une question simple

Peu regardant du droit internatio­nal en Syrie, où certaines organisati­ons des droits de l'homme parlent de crimes de guerre commis par les forces syriennes et russes, le chef de la diplomatie russe a fait la leçon à Washington. Il a rappelé que pour combattre efficaceme­nt le terrorisme, il importe de se conformer au droit internatio­nal. «A cet égard, nous sommes très préoccupés par la décision de l'administra­tion américaine de maintenir ouverte la prison illégale de Guantanamo où des gens, détenus sans charge ou sans procès, sont régulièrem­ent soumis à la torture.» Sergueï Lavrov s'est ensuite demandé: «Quoi qu'on pense de Saddam Hussein et de Mouammar Kadhafi, ceux qui les ont renversés doivent se poser une question simple: «Est-ce que ces interventi­ons illégitime­s ont réduit la souffrance des peuples, ontelles permis de protéger l'un des droits humains les plus fondamenta­ux, le droit à la vie?» La réponse est évidente.»

Du côté américain, pas de ministre ni d'ambassadeu­r pour répondre aux attaques russes au CDH, mais Mary Catherine Phee, secrétaire d'Etat adjointe ad interim dépêchée de Washington. La diplomate a vertement critiqué une institutio­n qui laisse intervenir à sa tribune les auteurs de graves violations des droits de l'homme, notamment Ali-Reza Avaie, ministre iranien de la Justice, accusé par les Moudjahidi­n du peuple d'être impliqué dans les massacres de 1988 en Iran. Mais au sujet de la Russie, pas un mot.

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