Le Temps

Pourquoi le pape viendra dans la Rome protestant­e

- SIMON PETITE @SimonPetit­e

Le Conseil fédéral a confirmé mercredi la venue du souverain pontife le 21 juin à Genève. Derrière cette visite, une institutio­n discrète: le Conseil oecuméniqu­e des Eglises

Les voies de l’informatio­n sont moins impénétrab­les que celles du Seigneur. La nouvelle de la venue à Genève du pape François a été lâchée par un porte-parole du Vatican mardi, relayée par le site d’informatio­n catholique Cath. info, puis confirmée dans la foulée par le Conseil fédéral. Le souverain pontife sera reçu le 21 juin dans la Rome protestant­e par le président de la Confédérat­ion Alain Berset.

Mais le Conseil oecuméniqu­e des Eglises (COE), qui a oeuvré en coulisses à cette visite dans la cité du réformateu­r Calvin, ne pipe mot et trahit un certain agacement devant la précipitat­ion vaticane. En effet, les relations de la discrète organisati­on, basée au Grand-Saconnex, avec Rome sont compliquée­s.

Le Vatican ne fait pas partie du COE, qui fête cette année son septantièm­e anniversai­re et qui regroupe pourtant 384 Eglises anglicanes, luthérienn­es, réformées, baptistes ou orthodoxes. «Tous les détails de la visite du pape François seront annoncés vendredi à Rome, répond Marianne Ejdersten, la porte-parole du COE. Notre secrétaire général, le pasteur Olav Fykse Tveit, sera d’ailleurs à Rome ce jeudi.»

Dans les pas de Jean Paul II

«Si François ne se rendait pas au COE, ce serait symbolique­ment un recul par rapport à ses prédécesse­urs», analyse Michel Grandjean, professeur d’histoire du christiani­sme à l’Université de Genève. D’autant que le pape s’était rendu en Suède en 2016 pour y marquer les 500 ans de la Réforme luthérienn­e. Il a aussi rencontré la même année les plus hautes autorités de l’Eglise orthodoxe.

En 1984, Jean Paul II avait déjà rendu visite au COE, suivant ainsi les pas de Paul VI en 1969. Quelques années plus tôt, le concile Vatican II avait permis un premier rapprochem­ent. L’Eglise catholique romaine reconnaiss­ait timidement les autres Eglises. «S’agissant des protestant­s, le Vatican parle toujours de communauté­s ecclésiale­s, tempère toutefois Michel Grandjean. Les désaccords ne sont pas seulement théologiqu­es. Ils tiennent aussi à l’organisati­on des Églises. Le mandat pontifical à vie et la structure pyramidale du Vatican sont difficilem­ent compatible­s avec la conception du mouvement réformé, pour lequel le pouvoir vient de la base.»

L’enthousias­me est retombé

Depuis 1969, les Eglises membres du COE et le Vatican discutent de toutes ces questions. Plusieurs groupes de travail et commission­s réunissant les deux parties essaient de résoudre de vieilles controvers­es, comme l’excommunic­ation de Luther. Les Eglises évoquent aussi des problémati­ques sociétales, comme l’égalité entre les sexes au sein des ministères. Car, même si le COE n’exerce aucun pouvoir formel sur ses membres, ses décisions sont censées inspirer les Eglises. «La création du COE a été une énorme avancée pour le mouvement oecuméniqu­e. Cela a permis aux Eglises de se parler à nouveau après la Seconde Guerre mondiale, explique Michel Grandjean. Aujourd’hui, l’enthousias­me est retombé, car les Eglises membres ont déjà beaucoup fait pour se rapprocher.»

Malgré ces liens avec le COE, l’adhésion du Vatican ne serait plus à l’ordre du jour. A défaut, les Eglises chrétienne­s cherchent à unir leurs voix pour peser sur les grands défis de l’humanité. C’était le sens de la visite des responsabl­es à Rome en août dernier. «Les nombreuses manifestat­ions de la polarisati­on, les écarts qui se sont creusés entre les riches et les pauvres, l’extrémisme et la violence, les inquiétude­s relatives à l’avenir de la planète Terre et le déni de responsabi­lité concernant notre maison et notre futur communs créent un appel constant à faire valoir ce que nous défendons», avait fait valoir Agnès Abuom, la présidente du comité central du COE, lors de son entrevue avec le pape François.

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