Le Temps

L’interminab­le saga du Brexit

- CHARLES WYPLOSZ

Un an et demi est passé. Les Britanniqu­es ont décidé de quitter l’Union européenne à la fin de mars 2019, mais on ne sait toujours pas ce qui va se passer dans un an et un mois. Ce n'est pas surprenant, la question du référendum était mal posée: il ne s'agissait pas de choisir entre deux options mais d'en rejeter une sans avoir défini l'alternativ­e. Depuis lors, les Britanniqu­es se déchirent pour définir l'alternativ­e, sous la contrainte des Européens qui jouent de ces divisions.

Pour corser le tout, l’affaire est très compliquée. Les citoyens doivent à présent comprendre les subtiles différence­s entre une zone de libreéchan­ge, une union douanière et le marché unique. Pour mesurer l'importance de la question – qui concerne aussi la Suisse –, on peut commencer par noter les deux seuls progrès réalisés depuis le début des négociatio­ns. Un premier accord prévoit que la Grande-Bretagne va continuer à contribuer au budget de l'Union pendant quelques années. Il s'agit d'honorer les engagement­s pris auparavant. Le deuxième accord est qu'il n'y aura pas de postes frontières entre les deux parties de l'Irlande. Du coup, les produits pourront circuler librement. Ceux qui sont produits dans une partie ou l'autre de l'île, mais aussi ceux qui y sont arrivés sans le moindre contrôle, de Grande-Bretagne en Irlande du Nord et du reste de l'Europe en Irlande du Sud. Autrement dit, la Grande-Bretagne a accepté qu'il n'y ait aucune barrière douanière avec l'Union européenne. Comment sortir de l'Union dans ces conditions?

A présent, la Grande-Bretagne fait partie du marché unique. Dans un marché unique, ce ne sont pas seulement les produits qui peuvent passer librement, mais aussi les services peuvent être fournis sans restrictio­n, les capitaux peuvent circuler comme à l'intérieur des frontières et les personnes peuvent habiter et travailler où bon leur semble. Simple? En apparence seulement. Par exemple, chaque pays a établi des règles pour protéger ses consommate­urs, par exemple des normes pour les produits en matière de sécurité, de santé, de traçabilit­é. Il convient donc d'harmoniser totalement ces normes, et ça peut aller loin. Un autre exemple concerne la reconnaiss­ance mutuelle des diplômes qui permet d'exercer une profession réglementé­e, et de plus en plus de profession­s sont réglementé­es.

A l’autre bout du spectre, on trouve les zones de libre-échange. Elles ne concernent en général que les produits, pour lesquels il n'existe aucun droit de douane. Mais alors, il faut contrôler l'origine des produits qui peuvent ne faire que transiter par un pays après paiement de droits de douane. Comme ces droits peuvent varier d'un pays à l'autre, il faut alors procéder à des ajustement­s lors du passage de la frontière, qui ne peut donc pas être libre. Quand on sait que, de plus en plus, les produits sont constitués d'éléments produits un peu partout dans le monde, on voit que c'est compliqué.

Entre les deux, il y a les unions douanières. Dans ce cas, pas de droits de douane internes mais, en plus, les mêmes droits sont appliqués aux produits en provenance de l'extérieur de l'Union. De ce fait, un pays membre ne peut pas négocier tout seul des accords douaniers avec un pays tiers.

L’absence de contrôle entre les deux parties de l’Irlande signifie que l'option de zone de libreéchan­ge – ce que veulent les partisans d'un «Brexit dur» – est impossible. L'union douanière pourrait fonctionne­r pour les produits, mais pas pour les personnes qui pourraient circuler entre la Grande-Bretagne et l'Union européenne via l'Irlande. De plus, la Grande-Bretagne est très intéressée par une intégratio­n poussée en matière de services, surtout les services financiers. Par ailleurs, elle veut recouvrer sa liberté en matière d'accords commerciau­x avec les pays tiers, ce qui est incompatib­le avec une union douanière.

Il ne lui reste donc que deux possibilit­és: le marché unique honni et le modèle suisse, un accord de libre-échange complété par une série d'accords spécifique­s. Or les Européens, qui veulent éliminer le modèle suisse, ne sont pas prêts à le recréer pour la Grande-Bretagne. Ce sera soit un

Brexit cosmétique, soit des postes frontières en Irlande.

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