Le Temps

50+1, l’équation contestée du foot allemand

Faut-il en finir avec la règle qui empêche les investisse­urs de prendre le contrôle des clubs allemands au détriment de leurs membres? Des dirigeants haut placés estiment que c’est la seule solution pour demeurer compétitif sur la scène internatio­nale

- QUENTIN JEANNERAT

Dimanche 5 février 2017. Lors d’un match à Dortmund, les supporters du RB Leipzig essuient jets de pavés, de bouteilles et menaces de mort de la part de certains fans locaux. L’épisode illustre bien les tensions qui émaillent aujourd’hui le football allemand. D’un côté, ceux qui défendent la tradition associativ­e et le droit des supporters à présider aux destinées de leur club, philosophi­e qu’incarne le Borussia Dortmund. De l’autre, ceux qui estiment nécessaire de s’ouvrir davantage aux investisse­urs étrangers, type Red Bull dans le club est-allemand, pour ne pas voir le fossé se creuser avec les autres grands championna­ts européens.

La saison passée, pour la première fois depuis 2005, l’Allemagne n’a placé aucun représenta­nt en demi-finales des deux Coupes d’Europe. Cette saison, seul le Bayern Munich est parvenu à se qualifier pour les huitièmes de finale de la Ligue des champions, alors que voilà cinq ans, les Bavarois disputaien­t la finale de la compétitio­n contre Dortmund. Le tableau ne s’est noirci que récemment, mais de manière suffisamme­nt nette pour alarmer le bureau de la Deutschen Fussball Liga (DFL). Pour son directeur général, Christian Seifert, le problème central réside dans le sacro-saint principe du «50 + 1» qui régit le football profession­nel allemand.

Une règle vieille de vingt ans

Cette règle, introduite en 1998, stipule que les membres de chaque club de première et deuxième divisions doivent toujours conserver la majorité des votes lors de l’assemblée générale. Cela empêche concrèteme­nt tout investisse­ur privé de posséder plus de 49% des parts d’un club, et donc de le contrôler. Dans le cas du Bayern Munich par exemple, cela signifie que les 290000 personnes qui paient chaque année leur cotisation peuvent, entre autres, élire le président du club.

Un actionnair­e ne peut détenir plus de 49% du capital que s’il possède des parts dans le club depuis plus de vingt ans. C’est le cas notamment du géant pharmaceut­ique Bayer à Leverkusen ou de Volkswagen à Wolfsburg. Leipzig est encore à part. Le club a été repris en cinquième division par Red Bull avant de gravir tous les échelons. Une fois dans l’élite, le club a dû se conformer à la règle du 50 + 1, mais reste souvent accusé de corrompre son esprit avec une cotisation à 1000 euros (contre 62 à Dortmund par exemple). Pour la payer, il ne se trouve ainsi que des membres du conseil de surveillan­ce de Red Bull, ou presque.

Le 50 + 1 a la réputation de garantir la proximité des clubs profession­nels avec les fans et d’assurer leur stabilité. Ainsi, le prix des billets reste bas (une quinzaine d’euros pour une place en tribune populaire) et les stades allemands battent tous les records d’affluence, avec une moyenne de plus de 44000 spectateur­s par match de Bundesliga.

En 2009, les clubs profession­nels allemands ont encore montré leur attachemen­t à cette règle en rejetant sa suppressio­n par 32 voix sur 36. La votation s’était alors tenue à la demande de Martin Kind, le président du club de Hanovre, un des premiers à voir la règle comme une violation du droit commercial et un frein au développem­ent économique des clubs allemands.

Avec les récentes contre-performanc­es des clubs de Bundesliga en Europe, sa cause trouve de nouveaux partisans. Christian Seifert s’y est ainsi associé il y a quinze jours devant un panel de journalist­es internatio­naux, alors que Karl-Heinz Rummenige, le président du conseil exécutif du Bayern Munich, déclarait en septembre que chaque club devrait avoir le droit de décider s’il veut s’ouvrir plus largement aux investisse­urs externes.

A la traîne sur les réseaux sociaux

Car la règle du 50 + 1 rend les clubs allemands peu attractifs, comme l’illustre Vincent Chaudel, expert sport du cabinet Wavestone: «Investir dans un club allemand aujourd’hui, c’est un peu comme effectuer des rénovation­s à vos frais dans l’appartemen­t que vous louez, mais sans recevoir aucun pouvoir ou avantage en retour.»

Pour le spécialist­e français, le football allemand doit se réinventer rapidement, car le fossé avec les autres grands championna­ts ne se creuse pas seulement sur le plan sportif. «Sur Facebook et Twitter, seules les pages de trois clubs allemands comptent plus d’un million d’adhérents. Dans ce domaine, ils sont largement battus par les quatre autres grands championna­ts, y compris la France, qui compte sept clubs au-dessus du million.» Un chiffre qui montre bien toute la difficulté qu’ont les clubs allemands (le Bayern Munich excepté) à conquérir de nouveaux marchés hors de leurs frontières.

«La ferveur autour du football est telle outre-Rhin que le marché intérieur était jusqu’à présent suffisant pour rester au top niveau internatio­nal, estime Vincent Chaudel. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, les clubs allemands n’ont plus les moyens financiers de conserver leurs meilleurs joueurs, ni de recruter les meilleurs.»

La saison passée, pour la première fois depuis 2005, l’Allemagne n’a placé aucun club en demi-finales des Coupes d’Europe L’assemblée générale du Bayern Munich. A l’écran Uli Hoeness, ancienne gloire du club, devenu président.

S’exporter ou perdre pied

Selon lui, le football allemand doit être prêt à faire muter son ADN pour inverser la tendance. «Pour se développer à l’internatio­nal et y générer des revenus, il faut cibler des marchés, y développer une présence physique avec la création de bureaux et d’académies pour les jeunes, interagir, dans leur langue et via les réseaux sociaux, avec ses différente­s communauté­s, organiser des tournées, ou encore recruter la nouvelle pépite du pays où l’on souhaite se développer.» Mais tout cela requiert une vision expansionn­iste qui contraste avec la nature protection­niste incarnée par le 50 + 1.

Ce sont ces différents enjeux que Christian Seifert et ses collègues du bureau de la Ligue vont tenter d’expliquer aux clubs pour justifier le besoin de réforme du 50 + 1. Réforme dont les contours restent flous pour le moment et qui ne devrait pas aboutir avant la fin de l’année. Mais malgré ses réticences et son fort attachemen­t aux traditions, l’Allemagne du football a déjà prouvé sa capacité à se remettre en question. «La fédération a su repenser la formation en profondeur au lendemain de l’éliminatio­n de l’équipe nationale au premier tour de l’Euro 2000, rappelle Vincent Chaudel. Aujourd’hui, elle est championne du monde en titre.»n

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(TF-IMAGES VIA GETTY IMAGES)

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