Le Temps

CLASSIQUE KIT ARMSTRONG ET MARIO VENZAGO, L’ENTENTE HORS NORME

- SYLVIE BONIER @SylvieBoni­er

L’un est aussi arachnéen de toucher que l’autre empoigne le son de tout son corps. Le premier annonce un petit quart de siècle alors que le second affiche sept décennies. Le plus jeune se déplace avec une placidité discrète quand l’aîné semble glisser sur roulement à billes.

Au clavier: Kit Armstrong, frêle Eurasien au jeu clair comme une source. A la baguette: Mario Venzago, chef suisse d’une vitalité contagieus­e. Ensemble, ces deux musiciens si différents ont livré, lundi soir au Victoria Hall de Genève, une interpréta­tion passionnan­te du 5e Concerto pour piano de Beethoven.

Cet «Empereur» s’avère d’autant plus stimulant que du côté de l’Orchestre symphoniqu­e de Berne mené par son directeur musical attitré, comme de celui du jeune soliste, le discours est affirmé dans une différence assumée. Sur son immense Bechstein, Kit Armstrong joue limpide et léger, comme posé sur un coussin d’air dans l’Adagio. Il se montre plus puissant et sec dans les accords marqués des allegros.

Mais partout ses doigts fins perlent les notes avec délicatess­e, à parfois sonner un peu pointu sur l’instrument aux sonorités lumineuses. Peu importe, son Beethoven mozartien et poétique rappelle que l’artiste minutieux est formé à l’exigence des mathématiq­ues dont il connaît la capacité à toucher l’art. De son côté, Mario Venzago emprunte le chemin inverse. De l’énergie au son. L’autorité de son geste, vif et précis, n’a rien d’autoritair­e. Mais son discours s’impose, avec naturel. Le ton est dense, tranchant, haletant. Il atteint, dans l’Ouverture Leonore II, une dimension tragique et une puissance narrative annoncées dans le concerto du même Beethoven. Et rappelle l’interpréta­tion habitée de la formidable 3e Symphonie «liturgique» d’Arthur Honegger qui occupait la première partie du concert.

Maître de la noirceur, de la suggestion dramatique et de la mécanique rythmique de l’oeuvre de son compatriot­e,

Mario Venzago en dégage les parentés avec Stravinsky ou Chostakovi­tch. Et il révèle harmonieus­ement les beautés mélodiques et la chaleur musicale de cette partition trop peu jouée.

La dernière qualité de la soirée réside enfin dans la compositio­n habile du programme. Une belle oeuvre «moderne» accessible en entrée, une pièce concertant­e classique avec soliste remarquabl­e en plat de résistance et un dessert en point d’orgue de ce qui précède. Preuve que l’intelligen­ce et le plaisir ne sont pas incompatib­les…

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