A sang pour sang
LUCIA MAZZOLAI
«Toutes mes idées de recherches me viennent des frustrations à ne pas pouvoir soulager les malades dans leurs souffrances, de voir certaines maladies rares être totalement délaissées»
Depuis le mois de janvier, l’Italienne d’origine dirige le Département coeur-vaisseaux du CHUV, à Lausanne. Elle est la première femme de l’histoire de l’institution à accéder à une telle position hiérarchique, et ce tout en continuant à faire de la recherche
Elle s’en souvient comme si c’était hier. Ce jour où, sillonnant les rues de Chicago sur la banquette arrière de la voiture de son père, physicien de renom, Lucia Mazzolai a eu comme une révélation. Elle a alors 14 ou 15 ans, n’est encore qu’une teenager bercée par la douce mélodie de l’American Dream, mais déjà traversée par une profonde conviction, la médecine comme un appel. «Je savais que je voulais faire de la recherche, mais aussi quelque chose qui aiderait les gens tout en étant à leur contact.» Le destin ne l’a pas détrompée.
De ses années de jeunesse aux Etats-Unis, Lucia Mazzolai a gardé ce fort sentiment de liberté qui la portait alors, mais aussi la certitude que rien n’est impossible pour qui s’en donne les moyens. «La mentalité américaine m’a profondément marquée sur ce plan. Peu importe d’où l’on vient, si on a une envie, un rêve, que l’on travaille et que l’on sait saisir les opportunités quand elles se présentent, on peut y arriver.» En janvier, la spécialiste en angiologie est devenue la première femme à accéder à la tête de l’un des treize départements que compte le CHUV, à Lausanne. Un signe fort, lorsque l’on sait que la proportion de femmes médecins tend à diminuer drastiquement à mesure que sont gravis les échelons hiérarchiques.
Mentors et sponsors
«J’ai eu beaucoup de chance de me trouver au bon endroit au bon moment et de ne jamais avoir l’impression d’être traitée différemment du fait d’être une femme. Les premiers professeurs à avoir cru en moi lorsque j’étais étudiante en médecine à l’Université de Pérouse, m’ont énormément appris, mais ils m’ont également rapidement laissé carte blanche pour mener à bien mes projets de recherche et soutenue lorsque cela était nécessaire. Dans ce sens, ils se sont révélés à la fois des mentors et des sponsors, deux figures dont il est indispensable de s’entourer si l’on souhaite progresser dans une carrière.»
De la persévérance et une organisation sans faille: c’est aussi ce qu’il a fallu à cette mère de trois adolescents pour parvenir à faire cohabiter sa passion viscérale pour la médecine vasculaire et une vie de famille. «Cela demande de trouver un équilibre et de faire quelques compromis, comme, par exemple, de faire l’impasse sur certains congrès se tenant à l’étranger. Mais j’aime m’occuper de mes enfants, et, tant qu’ils auront besoin de moi à leurs côtés, cela sera ma priorité. Mon mari, également médecin en hématolo- gie au CHUV, m’a aussi beaucoup aidée, notamment dans le partage des tâches, ce qui nous a permis de progresser sans entrave dans nos vies professionnelles respectives.»
Plus forts ensemble
A la tête du Département coeur-vaisseaux, qui réunit plus de 500 collaborateurs dans les services de cardiologie, de chirurgie cardiaque, de chirurgie vasculaire et d’angiologie, Lucia Mazzolai entend incarner un management participatif, autre valeur héritée des EtatsUnis, où elle a réalisé, au début des années 90, un doctorat au Scripps Research Institute de San Diego, en Californie. «Pour moi il est évident qu’ensemble on est plus forts, surtout lorsqu’il est question du bien des patients. Plus globalement, je n’ai jamais aimé travailler en solo. Je trouve cela très ennuyeux, peu constructif. Je me nourris de la confrontation avec les autres et du travail en équipe.»
Egalement à la tête du Service d’angiologie, l’Italienne d’origine n’en délaisse pas pour autant la recherche. Qu’il s’agisse d’analyser les effets bénéfiques de l’exercice physique sur les pathologies vasculaires, de percer les processus de l’artériosclérose, ou encore le mécanisme des thromboses, Lucia Mazzolai est poussée non seulement par une soif constamment renouvelée de comprendre, mais aussi par les discussions menées avec ses patients. «Toutes mes idées de recherches me viennent de la clinique, des frustrations à ne pas pouvoir soulager les malades dans leurs souffrances, de voir certaines maladies rares être totalement délaissées.» Avec, toujours en ligne de mire, cette implacable réalité: en Suisse comme ailleurs, les maladies cardiovasculaires sont les affections qui emportent le plus de personnes chaque année, y compris les femmes, dont les symptômes, plus sournois, peinent encore à être reconnus.
Désireuse, sans doute, de rendre la pareille, Lucia Mazzolai n’hésite aujourd’hui pas à endosser à son tour ce rôle de sponsor, en poussant de jeunes médecins à reprendre le flambeau dans son laboratoire de recherche fondamentale. «J’estime que plus on monte dans des postes à responsabilités, plus on a le devoir d’être attentif aux personnes qui nous entourent. Cela permet de ne pas miser uniquement sur ceux qui se mettraient davantage en avant au détriment des autres, car chacun a le droit d’être valorisé dans ce qu’il fait de bien.»
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