Le Temps

«Pour une étude libre de la Shoah en Pologne», par André Liebich

- ANDRE LIEBICH PROFESSEUR HONORAIRE AU GRADUATE INSTITUTE

Le gouverneme­nt polonais pensait qu'on pouvait le faire sans attirer l'attention internatio­nale. D'autres pays dans l'ancien bloc communiste avaient minimisé leur complicité dans la Shoah avec succès. Dernièreme­nt, l'Ukraine avait interdit toute critique à l'égard de ses combattant­s pour la liberté qui avaient collaboré avec les nazis contre les Soviétique­s et qui avaient participé à l'exterminat­ion des Juifs et à des crimes contre les Polonais établis dans ce qui allait devenir l'Ukraine occidental­e. Ironiqueme­nt, c'est le parlement polonais qui avait protesté le plus vivement contre cette manoeuvre ukrainienn­e.La dite «loi polonaise sur la Shoah» qui a provoqué un tollé internatio­nal consiste, en fait, en un certain nombre d'amendement­s à la loi sur l'Institut de mémoire national. Dans l'article 55 on a introduit le texte suivant: «Quiconque prétend, faussement et contrairem­ent aux faits, que la nation polonaise ou la République de Pologne est responsabl­e pour les crimes nazis commis par le Troisième Reich… ou qui minimise grossièrem­ent la responsabi­lité des vrais responsabl­es de ces crimes sera assujetti à une amende ou à l'emprisonne­ment pour une période allant jusqu'à trois ans.» Tout de suite après, dans ce qu'on peut considérer comme un geste apaisant, la loi réduit la sanction envers ceux qui commettent de tels actes «sans intention» et stipule que cela ne concerne pas «l'activité artistique et académique».

Parmi d'autres amendement­s, on trouve l'interdicti­on du terme «camps polonais de la mort» pour désigner les camps d'exterminat­ion établis par les nazis sur sol polonais, renforçant ainsi les efforts diplomatiq­ues polonais de lutter contre cet usage fréquent à l'étranger mais trompeur. Parmi les premiers amendement­s introduits est une attaque frontale contre «les nationalis­tes ukrainiens et membres des unités ukrainienn­es qui ont collaboré avec le Troisième Reich» quoique les paramètres chronologi­ques [1925-1950] ne correspond­ent guère à l'existence du régime hitlérien. Visiblemen­t, le parlement polonais entend poursuivre sa récente condamnati­on de la réhabilita­tion des nationalis­tes ukrainiens, sans tenir compte des bonnes relations qui se sont établies entre les deux pays.

La tempête internatio­nale provoquée par ces amendement­s s'est étendue rapidement d'Israël aux Etats unis et à l'Europe occidental­e et le gouverneme­nt polonais s'est trouvé déchiré entre ses alliés les plus proches et sa base domestique. D'une part, au fur et à mesure que l'Union européenne se montre de plus en plus critique à l'égard du régime polonais, la Pologne cherche un appui bien apprécié aux Etats-unis. Par ailleurs, tant la Pologne qu'Israël ont réussi à dissocier l'antisémiti­sme polonais de bons rapports avec l'Etat hébreu. D'autre part, les électeurs du Parti droit et justice au pouvoir croient fermement au comporteme­nt irréprocha­ble des Polonais face à l'occupation nazie. Selon eux, les Polonais étaient des résistants et des victimes, jamais des collaborat­eurs des nazis.

Jusqu'à présent la contestati­on de cette perspectiv­e a été l'oeuvre de quelques universita­ires, surtout à l'étranger, et une frange de l'intelligen­tsia polonaise. De toute manière, ce ne sont pas des adhérents du parti au pouvoir. Mais la perte de l'appui américain, ainsi que la détériorat­ion des relations avec Israël, inquiètent le gouverneme­nt. Les efforts polonais de ces derniers jours, visant à calmer l'indignatio­n ont été maladroits et n'ont pas porté les résultats escomptés. En même temps, en Pologne même, des théories sombres d'un complot juif ont pris de l'envergure. Le président polonais a tenté de ménager la chèvre et le chou en signant les amendement­s mais en les référant à la cour pour tester leur constituti­onnalité.Parmi les rares voix raisonnabl­es dans cette affaire, il y a la déclaratio­n du Centre polonais pour la recherche sur l'exterminat­ion des Juifs. Elle s'oppose à la loi amendée en tant qu'imposition d'une politique officielle de l'histoire. La vérité historique, dit-elle, ne saurait pas être imposée d'en haut.

En Pologne même, des théories sombres d’un complot juif ont pris de l’envergure

Une première version de cet article est parue en anglais sur Eurozine sous le titre «Righteous Indignatio­n: On the Polish Holocaust Law Debate»

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