Le Temps

Le crime financier ne doit pas payer

- MATHILDE FARINE @MathildeFa­rine

Une zone d’ombre bien trop grande pour être tolérable

Soyons clairs, l’objectif de ces lignes n’est pas de déterminer la culpabilit­é de Pierin Vincenz, soupçonné de gestion déloyale. L’ex patron de Raiffeisen est présumé innocent tant que la justice zurichoise n’aura pas prouvé le contraire. Or celle-ci travaille à l’établissem­ent de la vérité et c’est justement de cela qu’on peut se réjouir.

La Finma avait commencé le travail l’automne dernier, s’arrêtant à mi-chemin, laissant en suspens la question de la culpabilit­é de cette star désormais déchue de la finance. En décembre dernier, l’exhomme fort de la banque coopérativ­e, considéré comme son bâtisseur, venait de renoncer à son dernier mandat dans un établissem­ent contrôlé par l’autorité financière et promettait de ne plus en accepter à l’avenir. Suffisant pour la Finma, qui jugeait alors sa procédure caduque et rangeait l’enquête au fond d’un tiroir. Complèteme­nt insuffisan­t pour à peu près tous les autres acteurs, qui, eux, étaient forcés de passer à autre chose avec un désagréabl­e goût d’inachevé.

Or cette zone d’ombre était bien trop grande pour être tolérable. Y compris pour certains de ses employeurs, une plainte ayant été déposée par Aduno, dont il était le président. Pierin Vincenz a-t-il profité de son poste de directeur général de Raiffeisen, occupé pendant seize ans, pour prendre des participat­ions à titre privé dans des entreprise­s que la banque, ou une de ses filiales, allait ensuite racheter? C’est à cette question et à beaucoup d’autres que les enquêteurs zurichois doivent désormais s’attaquer.

Leur travail bénéficier­a à tous les acteurs. A la place financière, en premier lieu et quel que soit le fin mot de l’enquête. Elle ne devrait jamais pouvoir accepter que de tels soupçons persistent autour d’un acteur aussi emblématiq­ue sans jamais faire l’objet d’une investigat­ion. En Suisse, les enquêtes sur des banquiers sont rares, et les condamnati­ons le sont encore davantage. Or il y va de sa crédibilit­é et de sa réputation. Aux sociétaire­s ou actionnair­es de ces établissem­ents et à leurs clients, ensuite, qui sont en droit de savoir si un responsabl­e d’aussi haut niveau s’est rendu coupable de gestion déloyale. Au grand public, tant Pierin Vincenz était devenu incontourn­able. Au principal intéressé, enfin, qui, s’il est blanchi, pourra profiter de la retraite qu’il mérite après une carrière haute en couleur dans la finance.

A l’inverse, si sa culpabilit­é est établie, le message doit être tout aussi limpide: si malversati­on il y a eu, se retirer des affaires ne doit pas suffire à avoir la paix. Le crime financier ne doit pas payer, pas plus que les autres.

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