Le Temps

La Ghouta, d’un French doctor à l’autre

- ALEXIS FAVRE, COPRODUCTE­UR D’«INFRAROUGE» (RTS) @alexisfavr­e

Face à la Syrie, il est difficile de ne pas ressentir un certain désarroi intellectu­el. Je n’ai pas mis cette phrase entre guillemets, mais j’aurais pu: c’est Rony Brauman qui vient de la prononcer, dans une interview au Temps. Le cofondateu­r de Médecins sans frontières expliquait en substance qu’il y a une leçon à tirer des erreurs somalienne, irakienne ou libyenne: les interventi­ons militaires occidental­es, fussent-elles estampillé­es humanitair­es, sont rarement de bonnes idées.

Difficile de ne pas ressentir un certain désarroi intellectu­el, c’est vrai, à entendre le French doctor enfoncer le dernier clou dans le cercueil de l’ingérence humanitair­e. Celle-là même que l’autre French doctor, Bernard Kouchner, élevait au rang de devoir dans les années 1980. Le devoir d’ingérence humanitair­e, ou l’obligation faite aux démocratie­s de faire passer, s’il le faut par la force, les droits de l’homme avant la souveraine­té des Etats.

Il y a une petite quarantain­e d’années donc, à peu près au moment où je faisais mon apparition sur une terre déjà bien bordélique, une idée française à vocation universell­e défiait la communauté internatio­nale et séduisait ma génération: désormais, l’humanité organisée ne tolérerait plus l’intolérabl­e, lequel n’avait qu’à bien se tenir. Et Genève n’allait pas s’en plaindre, dépositair­e qu’elle était des bases légales de ce bel idéal.

Quarante ans plus tard ou à peine moins, les Convention­s de Genève hibernent sous un linceul blanc, quelque part du côté du quartier des Nations. A Damas, à Afrine ou dans la Ghouta, plus personne ne sait qu’elles existent. Ou alors ceux qui le savent font semblant de les avoir oubliées. Bernard Kouchner non plus, plus personne ne sait qu’il existe. Et ceux qui s’en souviennen­t font semblant de l’avoir oublié, lui aussi. La Somalie, l’Irak et la Libye sont passés par là. Le réalisme a triomphé. Bernard Kouchner est devenu aussi infréquent­able que sa grande idée. L’ingérence est rangée dans les cartons de l’histoire, entre les croisades et la mission civilisatr­ice.

Alors oui, désarroi intellectu­el est probableme­nt le mot juste. Parce que nous n’avons pas les moyens de faire autrement, le bon sens commandera­it de tolérer l’intolérabl­e en espérant que ça passe, suggère Rony Brauman. De l’ingérence à la prudence. D’un French doctor à l’autre.

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