«Pour les dépressions majeures ou modérées, les antidépresseurs sont utiles»
Professeur à l’Université d’Oxford, le spécialiste a mené une vaste étude sur l’impact des traitements médicamenteux de la dépression
Plus d’une quarantaine d’antidépresseurs sont disponibles à travers le monde. Malgré les centaines d’études cliniques menées pour les évaluer, leur efficacité reste controversée et leurs effets secondaires, notamment sur la libido, ne sont pas négligeables. Une étude d’ampleur inédite récemment publiée dans le journal The Lancet a comparé l’efficacité de 21 antidépresseurs, parmi ceux les plus utilisés à travers le monde. Le psychiatre Andrea Cipriani, de l’Université d’Oxford, qui a mené cette étude, répond à nos questions.
Que sait-on aujourd’hui du fonctionnement des antidépresseurs? On ne connaît ni les causes biologiques de la dépression ni le mode d’action des antidépresseurs. Mais on sait qu’ils agissent sur l’humeur ainsi qu’au niveau cognitif. Une personne déprimée voit un visage souriant de manière négative alors que sous antidépresseurs, sa vision redevient positive. La première génération d’antidépresseurs date des années 1950-1960, suivie d’une deuxième génération dans les années 1980-1990. Ils agissent sur la concentration en neurotransmetteurs tels que la sérotonine ou la noradrénaline. Les tout derniers antidépresseurs agissent à la fois sur la recapture de la sérotonine et sur celle de la mélatonine.
Quels sont les résultats de votre étude? Elle a consisté à comparer l’efficacité de 21 antidépresseurs parmi les plus fréquemment utilisés à travers le monde, grâce à une méthode statistique dénommée méta-analyse en réseau. Elle intègre une quantité inédite de données issues de 522 études cliniques puisées dans des sources variées, y compris des études non publiées, portant au total sur 116477 patients. Notre méthode nous a permis de comparer l’efficacité respective des antidépresseurs. Notre conclusion est que les antidépresseurs sont plus efficaces que le placébo pour les dépressions sévères chez l’adulte et nous avons pu établir une échelle d’efficacité à laquelle les médecins peuvent se référer. En revanche, chez l’enfant et chez l’adolescent, un seul antidépresseur s’est avéré efficace. La prochaine étape consistera à étudier les événements indésirables et l’effet des antidépresseurs dans des sous-populations, afin de pouvoir personnaliser les traitements.
Certains antidépresseurs sont accusés de favoriser le passage à l’acte suicidaire. Qu’en pensez-vous? Sur ce sujet, il y a une désinformation. Un antidépresseur a été associé à des idées suicidaires chez l’enfant et l’adolescent mais pas au passage à l’acte. Les patients non traités, au contraire, ont un risque accru de suicide.
Quelle est selon vous la place des antidépresseurs dans le traitement des dépressions? Ce sur quoi tout le monde s’accorde aujourd’hui, c’est que les troubles dépressifs sont des maladies ayant à la fois des déterminants bio-, psycho- et sociologiques. Mais pour les dépressions majeures ou modérées, qu’elles soient mélancoliques ou réactionnelles, les antidépresseurs sont utiles. Cela ne veut pas dire que les dimensions personnelles et sociales des dépressions ne comptent pas. Le rôle du psychiatre est d’évaluer les capacités du patient à comprendre les causes de sa dépression et à utiliser les antidépresseurs et la psychothérapie de la manière la mieux adaptée.
▅