Le Temps

Vers la pénalisati­on du harcèlemen­t

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Un projet de loi contre les violences sexuelles sera présenté fin mars devant l’Assemblée nationale. Un délit de harcèlemen­t puni par une amende pourrait être créé

L’onde de choc engendrée par la campagne de mobilisati­on contre les violences faites aux femmes devrait bientôt se traduire dans la législatio­n française. A la fin de mars, un projet de loi devrait proposer de créer un délit de «harcèlemen­t de rue», punissable d’une amende de 90 euros.

Cette idée émane d’un rapport parlementa­ire présenté cette semaine à la secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, très en pointe sur ces questions depuis les révélation­s sur le producteur hollywoodi­en Harvey Weinstein et le vif débat qui a suivi dans l’Hexagone. Les députés auteurs de ce texte espèrent ainsi faire diminuer «les propos, comporteme­nts ou pressions à caractère sexuel» dont de nombreuses femmes françaises affirment être victimes.

La création d’un tel interdit pose bien sûr la question de l’applicatio­n concrète de cette future contravent­ion, si elle est entérinée. La verbalisat­ion ne pourrait a priori avoir lieu qu’en «flagrance». Mais que devront faire les femmes harcelées dans la rue pour déclencher la procédure conduisant à l’amende de 90 euros pour leurs agresseurs? «Le rapport évoque une réalité: celle du harcèlemen­t que nous sommes nombreuses à subir, explique Jade, une employée d’une organisati­on humanitair­e parisienne. Mais que devrais-je faire pour que mon harceleur soit puni? Le prendre en photo au risque de me faire molester? Lui demander son nom et son adresse?»

Avancer l’égalité

Une question à laquelle Elise Fajgeles, députée LREM (majorité présidenti­elle) et coauteure du rapport, a répondu sur RTL, plaçant l’enjeu au niveau des principes: «Nous avons prévu la création de cette infraction comme une mesure pour avancer dans l’égalité femme-homme mais aussi comme une mesure de sécurité publique […] pour permettre cet espace public apaisé et égalitaire.»

En octobre dernier, en pleine tourmente Harvey Weinstein, un sondage Odoxa avait révélé que 53% des femmes françaises ont été harcelées sexuelleme­nt au moins une fois dans leur vie. Selon une autre étude, publiée ces jours-ci par l’Ifop, une Française sur trois a par ailleurs déjà été agressée sexuelleme­nt sur son lieu de travail. Et dans la rue, la réalité dépasse bien souvent le constat énoncé dans le rapport

«Le plus compliqué à gérer, ce sont les guet-apens»

JADE, PARISIENNE

parlementa­ire. «La difficulté est de savoir de quoi on parle, poursuit Jade, habituée à marcher seule dans les rues de Paris et de la banlieue. On se fait siffler. On se prend des remarques sexistes. Mais le plus compliqué à gérer, ce sont les guets-apens, genre le type qui vous demande une direction, puis sollicite dans la foulée votre numéro de téléphone portable et se fâche si vous ne le lui donnez pas.»

D’après le sondage Ifop pour France Info, 24% des femmes interrogée­s ont répondu avoir subi des «contacts physiques légers» et 13% des attoucheme­nts sur une zone génitale ou érogène (main aux fesses, étreinte forcée, baiser volé…).

La question des rapports hommesfemm­es s’est installée depuis plusieurs semaines au coeur du débat intellectu­el et politique français, notamment après les premières dénonciati­ons au collectif #balanceton­porc et suite à la colère provoquée par la tribune sur «la liberté d’importuner, indispensa­ble à la liberté sexuelle» signée dans Le Monde par une centaine de femmes, dont l’actrice Catherine Deneuve. Ce thème polémique sera aussi à l’honneur ce samedi lors de la cérémonie des Césars du cinéma français, durant laquelle de nombreuses participan­tes arboreront un ruban blanc en signe de solidarité. Un ruban pour briser le silence qui a trop longtemps entouré ce sujet. Selon plusieurs collectifs de défense des victimes, les statistiqu­es des dénonciati­ons d’agressions sexuelles sont à la fin 2017 en hausse de 30% par rapport à l’hiver 2016.

Plus de 8000 appels

«Nous sommes inquiètes: mal accompagné­es, les femmes sont vulnérable­s face à la justice. Il est temps d’agir», avertit un nouvel appel publié mercredi par Libération. Selon le quotidien, la ligne rouge du collectif féministe contre le viol aurait reçu plus de 8000 appels en 2017. Terrible coïncidenc­e de calendrier: ce nouvel appel a été rendu public au moment où la police annonçait l’arrestatio­n, à Pontsur-Sambre (Nord), d’un violeur en série présumé, accusé d’avoir commis une quarantain­e d’agressions sexuelles en France et en Belgique.

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