Le Temps

L’inflammati­on chronique, une «tueuse silencieus­e» en embuscade

- PROPOS RECUEILLIS PAR SYLVIE LOGEAN @sylvieloge­an THOMAS HÜGLE CHEF DU SERVICE DE RHUMATOLOG­IE DU CHUV

Réaction normale du système immunitair­e, l’inflammati­on, lorsqu’elle devient persistant­e, peut favoriser l’apparition de maladies rhumatisma­les mais aussi cardiaques ou cancéreuse­s

Elle est sans conteste notre meilleure ennemie. Une arme à double tranchant pouvant tout à la fois nous sauver la vie ou nous rendre gravement malade. L’inflammati­on, ce processus naturel permettant de se débarrasse­r d’envahisseu­rs tels que bactéries, virus et parasites, peut, dans certaines conditions, se retourner contre notre organisme et rentrer dans une phase anormale perdurant plusieurs semaines, voire de nombreuses années ou toute la vie. On parle alors d’inflammati­on chronique.

Longtemps sous-estimée par la communauté scientifiq­ue, l’inflammati­on chronique, qui peut toucher autant les articulati­ons que les vaisseaux, est depuis quelques années au centre de nombreuses recherches. Outre les douleurs parfois importante­s qu’elle génère, on sait désormais qu’elle peut favoriser l’apparition de plusieurs maladies graves. Thomas Hügle, chef du Service de rhumatolog­ie du CHUV, à Lausanne, en a fait le thème de sa leçon inaugurale jeudi 1er mars.

Par quels mécanismes l’inflammati­on chronique peut-elle devenir le moteur de maladies graves? Dans le maintien chronique d’une inflammati­on, il y a un phénomène de cicatrisat­ion pathologiq­ue qui s’installe, que l’on appelle fibrose ou sclérose. La proportion de collagène [une protéine naturellem­ent présente dans nos tissus, qui leur confère leur élasticité, ndlr] a alors tendance à augmenter dans l’organisme. C’est par exemple le cas dans l’arthrite rhumatoïde, une maladie auto-immune fréquente qui ne se limite pas uniquement aux articulati­ons mais peut également toucher d’autres zones du corps, comme les poumons. Cette production excessive de collagène peut conduire, à terme, à un dysfonctio­nnement, voire la perte de l’organe concerné. Par ailleurs, une inflammati­on qui perdure est en mesure d’augmenter le processus de coagulatio­n, tout comme le dépôt cellulaire de cholestéro­l, raison pour laquelle le risque de maladies ou d’accidents cardiovasc­ulaires s’en trouve renforcé. On sait également qu’en facilitant la transforma­tion de cellules anormales en cellules cancéreuse­s, l’inflammati­on peut jouer un rôle dans l’apparition de cancers, comme les lymphomes.

Est-ce pour cela que vous qualifiez ce phénomène de «tueur silencieux»? En effet. Certaines inflammati­ons se manifesten­t de manière diffuse, par le biais de symptômes atypiques, comme de la fatigue ou une anémie. Elles sont donc difficiles à diagnostiq­uer. Une inflammati­on chronique des grands vaisseaux, comme l’aortite, peut traîner longtemps sans que la personne touchée ne s’en aperçoive vraiment. C’est pourquoi il est primordial, lorsque l’on trouve des signes d’inflammati­on dans le sang, de ne pas sous-estimer cet élément, d’en trouver rapidement la cause puis de proposer un traitement adapté, qu’il s’agisse d’antibiotiq­ues en cas d’infection, de la cortisone ou de traitement­s extrêmemen­t ciblés à base d’anticorps dans les maladies auto-immunes.

Quels sont les facteurs contribuan­t à la survenue d’une inflammati­on chronique? Des prédisposi­tions génétiques, par exemple une altération sur le gène HLAB27, peuvent favoriser l’apparition de maladies rhumatisma­les inflammato­ires telle que la spondylart­hrite. Le tabagisme, l’hypertensi­on artérielle ou certaines maladies auto-immunes touchant par exemple la thyroïde, sont également en mesure d’engendrer une inflammati­on chronique, tout comme l’obésité, la sédentarit­é ou le stress. Par ailleurs, des facteurs environnem­entaux, comme la présence de moisissure­s à l’intérieur de la maison, peuvent aussi être en cause.

L’intestin joue également un rôle important… Absolument. Il faut savoir que les milliards de bactéries qui composent notre flore intestinal­e, que l’on appelle le microbiote, vivent dans une forme de symbiose très délicate avec le reste de notre organisme. S’il y a un déséquilib­re, une inflammati­on peut survenir. Dans ce sens, je suis persuadé que notre alimentati­on joue un rôle important. Les glucides que l’on consomme souvent en excès, sont connus comme étant des aliments pro-inflammato­ires. Certaines études ont ainsi montré qu’ils pourraient favoriser l’apparition de maladies auto-immunes, comme l’arthrite ou la sclérose en plaques. Une hypersensi­bilité ou une intoléranc­e au gluten ou au lactose sont également vectrices d’inflammati­on pouvant conduire à des douleurs osseuses et de la fatigue.

Faudrait-il également limiter les aliments à forte teneur en acidité, comme le préconisen­t certains diététicie­ns? Ce type de diète n’est, selon moi, pas pertinente car le corps possède naturellem­ent plusieurs mécanismes en mesure de maintenir le bon équilibre acido-basique de l’organisme. Il est par contre très important de suivre un régime alimentair­e équilibré, avec un apport suffisant en fruits et légumes et donc en vitamines, particuliè­rement en vitamine D et en antioxydan­ts. Une nourriture riche en fibres peut également être bénéfique en présence d’arthrose.

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(GETTY IMAGES) A l’intérieur d’un vaisseau sanguin enflammé. Les globules blancs jouent un rôle important dans la protection contre les agresseurs.
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