Un road-movie en espace clos
Dans «Wajib. L’Invitation au mariage», un père et son fils font la tournée des parents et amis. Au gré des rencontres se dessine un portrait contrasté de la société israélienne
A Nazareth, quelques jours avant Noël, Abu Shadi (Mohammad Bakri, père de Saleh) et son fils (Saleh Bakri, fils de Mohammad) souscrivent à la tradition palestinienne du «wajib», soit la tournée rituelle des parents et amis pour leur remettre en mains propres une invitation au mariage de leur fille et soeur. C’est une suite de rencontres colorées avec une cousine solitaire qui essaye de voler un baiser, avec un oncle qui sert sa fameuse friture du lac de Tibériade ou avec les perroquets querelleurs d’une tante qui sort les liqueurs.
Entre le père, professeur à la retraite, divorcé, et le fils, architecte parti vivre à Rome, d’anciennes tensions refont surface. Le premier, farouchement attaché aux traditions, s’accommode de son existence à Nazareth, la plus grande ville arabe du pays, et de l’autorité israélienne; fier de son fils, il estime toutefois que c’est un déserteur. Le second, tourné vers l’avenir et le vaste monde, ne supporte pas la présence de soldats, auxquels il lance des regards d’une noirceur provocatrice; il chérit son père, mais pense que c’est un collabo.
Dans Le Sel de la mer (2008), Annemarie Jacir orchestrait le pas de deux d’une Palestinienne née à Brooklyn qui rentre vivre dans son pays et d’un jeune natif de Ramallah qui rêve de prendre le large. La cinéaste palestinienne revient à cette dynamique entre l’extérieur et l’intérieur dans Wajib. L’invitation au mariage, qui dessine une carte psychologique et géopolitique de la vie en Israël entre les communautés musulmane, chrétienne et juive.
Orangers et oliviers
La structure du road-movie, fût-il en circuit fermé, empèse un peu la narration. Mais, truculents et mélancoliques, les personnages expriment avec vivacité la diversité de la société nazaréenne, conviviale et paranoïaque – la grande mode est d’isoler les terrasses derrière des tentures… Une scène douloureusement comique établit la distinction entre réalité quotidienne et mythologie de miel et de lait: Abu Shadi reçoit un appel téléphonique d’un compatriote exilé. Celui-ci lui demande: «Que vois-tu?» – «Des orangers et des oliviers», ment le vieil homme face à un étal d’horreurs en peluche et de Pères Noël gonflables…
Déboussolé par la colère de son fils, Abu Shadi tourne en rond sur un rond-point. C’est une métaphore de la politique israélienne, mais aussi de Wajib, qui ne trouve pas de tangente et, par-delà, de tous les films qui évoquent la crise sans fin du Proche-Orient et se confondent finalement dans la mémoire cinéphile.
Wajib. L’invitation au mariage, d’Annemarie Jacir (Palestine, France, Colombie, Allemagne, Emirats arabes unis, Qatar, Norvège, 2017), avec Mohammad Bakri, Saleh Bakri, Maria Zreik, 1h36.