Le Temps

Insecure Men, totale confiance

C’est l’une des premières grandes promesses de l’année: un duo anglais synthétiqu­e, perché mais assagi, qui vole bien au-dessus des nuages

- PHILIPPE CHASSEPOT

La scène sud-londonienn­e: c’est la nouvelle expression à la mode, mais on pourrait tout aussi bien parler de secte. A savoir un tas de groupes plus allumés les uns que les autres qui surgissent régulièrem­ent, tels des zombies en quête de fureur. Les têtes de gondole du côté obscur de cette drôle de force? Les Moonlandin­gz, attelage désordonné qui joue à l’ancienne, comme on a pu récemment le constater à Paris: deux heures de retard avant de démarrer le show, leur leader Lias Saoudi dans un état tertiaire, 35 minutes de concert, rappel inclus, crachats sur une foule conquise et au revoir.

Une punk attitude présente elle aussi chez les Fat White Family, totalement incontrôla­bles, avec un but avoué: «Faire autant de bruit que possible.» Un usage permanent du second degré également, comme lorsqu’ils menacent de rejoindre l’Etat islamique sur-le-champ si le pourtant inoffensif Canadien Mac DeMarco n’arrête pas la musique.

Il existe cependant une face moins sombre à ces délires saturés, quand les adeptes évitent de prendre trop de produits interdits, reviennent à des choses plus légères mais quand même gentiment perchées. Ainsi Saul Adamczewsk­i, impliqué dans les deux groupes de barjos cités plus haut, qui a réussi à s’échapper du grand n’importe quoi pour fonder Insecure Men avec son pote d’enfance Ben Romans-Hopcraft. Il a par le passé bien abusé de toutes sortes de substance, au point de devoir passer par la case «rehab».

Chanter comme Robert Wyatt

On comprend donc quand il dit: «Si la Fat White Family était l’équivalent d’un speedball, alors les Insecure Men ne sont qu’une bonne tasse de café. Je veux composer une musique bien plus saine depuis que je suis clean.» Une fois lancé, il évoque ensuite des envies de musique plus anglaise, avec une atmosphère hawaïenne et l’ambiance d’un dîner dans les années 1970. Se régale dans l’exercice du name dropping: il veut chanter comme Robert Wyatt, emprunter au talent d’écriture de Harry Nilsson ou se perdre dans les étrangetés hypnotique­s de David Lynch.

Des références très haut de gamme pour des jeunes gens censés manquer de confiance en eux (la traduction littérale de insecure). On touche là encore au second degré: Ben RomansHopc­raft voulait initialeme­nt baptiser leur groupe «Insecure men who look at their phone too much».

Leur monde, c’est la banlieue, «et même la banlieue de la banlieue, ces pauvres villes où il y a un garage et rien d’autre», ajoutent-ils. Leur deuxième disque est, paraît-il, déjà prêt. On va d’abord savourer le tout premier, Teenage Toy, bercé par la grâce du synthé Yamaha qu’Adamczewsk­i semble adorer plus que tout, tant la mission est réussie. Onze chansons parfaites, avec les trois dernières plongées dans une mélancolie à peine soutenable. Notamment «Cliff Has Left the Building»: c’est beau, poétique, ça donne envie de tout arrêter surle-champ pour contempler. Totalement insecure.

Insecure Men, «Teenage Toy» (Fat Possum/Irascible). Sortie le 23 février.

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