Le Temps

Séries télé: Donald Trump, au-delà de la fiction

Série politique pertinente depuis ses débuts, «Homeland» revient pour une septième saison. Avec ses éructation­s et ses excès, le véritable président constitue une matière de fiction aussi difficile que rêvée

- PAR NICOLAS DUFOUR @NicoDufour

Cette fois, l’ambiance était différente. Chaque année, les auteurs principaux de la série Homeland,

Alex Gansa et Howard Gordon, emmènent leurs scénariste­s, la productric­e ainsi que les acteurs Claire Danes (Carrie) et Mandy Patinkin (Saul) dans un «séjour de terrain» à Washington. La série proprement dite est tournée à Richmond, en Virginie. Pendant cinq jours dans la capitale fédérale, l’équipe de Homeland rencontre des experts, notamment dans les services de renseignem­ent, et des observateu­rs en tout ge nre. Non s a ns t e ns i o ns , naguère: pendant les cinq premières saisons, la CIA n’a cessé de critiquer la série.

Lors de la réunion en vue de la septième saison, alors que Donald Trump avait été élu quelques mois auparavant, les propos tranchaien­t, a raconté Alex Gansa au journal anglais The Independen­t:

«C’était la première fois depuis toutes ces années que les gens du renseignem­ent étaient toujours du même avis que les journalist­es. A vouloir insister sur l’importance de la réflexion basée sur des faitssolid­es. » A peine sous-entendu: face à une administra­tion qui a quelques difficulté­s avec la réalité.

FAIRE «HOMELAND» SANS HILLARY CLINTON

La septième saison de Homeland est diffusée aux Etats-Unis et sur certains canaux en Suisse depuis mi-février, et l’exercice d’équilibris­me des auteurs est délicieux à suivre. Pour mémoire, dans le sixième chapitre de cette fiction géopolitiq­ue, ils avaient misé sur une victoire de Hillary Clinton en novembre 2016: leur nouveau président était une présidente. Dans une mémorable interview au Hollywood Reporter après l ’élection, Alex Gansa s’était exclamé: «Ma première réaction a été de me dire: Oh, mon Dieu! Nous sommes maintenant complèteme­nt à côté de la plaque!… Il m’a fallu du temps pour que ce sentiment s’estompe.»

On a appris par la suite que les auteurs ont réécrit certains épisodes de la sixième saison. C’est ainsi que la présidente naguère exemplaire, ayant perdu son fils en Afghanista­n, bassement attaquée par un agitateur du Web sur son site de fake news, est devenue douteuse. Voire méchante. Elle s’est trouvée en porte-à-faux avec ses propres services de sécurité nationale – comme Donald Trump – et elle a commencé à faire le vide d’air autour d’elle, licenciant ou f aisant i ncarcérer d’anciens proches. Presque comme le vrai président – dans son cas, ce sont plutôt les démissions qui provoquent le vide d’air.

Les deux compères de Homeland ne cessent de le dire, la série fonctionne selon sa propre fiction. «Il ne s’agit pas du tout de l’administra­tion Trump » , i nsiste Alex Gansa, avant de glisser: «Mais puisque nous écrivons presque en temps réel, le monde réel peut avoir une influence.» La prudence du scénariste se comprend: il ne voudrait pas que l’on prenne

Homeland comme l’envers fictif du miroir de la présidence américaine actuelle. Si cette série, la seule actuelleme­nt qui empoigne vraiment les questions de polit i que étrangère américaine, devait être l’exacte expression de l’évolution du pays, la pression serait trop forte.

N’empêche. Toujours passionnan­te, malgré ses occasionne­lles caricature­s des pays décrits,

Homeland acquiert un nouvel intérêt avec ce septième volet, alors que le locataire du 1600 Pennsylvan­ia Avenue éructe sur le monde entier par ses gazouillis rageurs. La tension entre Claire et l a présidente atteint son comble. Cette dernière apparaît toujours plus comme un potentiel tyran, bousculant l ’équilibre démocratiq­ue nationale par des décisions tranchées. Presque vicieux, les scénariste­s laissent augurer une alliance objective entre l’héroïne et le crapuleux débiteur de fausses nouvelles; malgré le fumier sur lequel il pousse, celui-ci deviendrai­t un quasi-rempart démocratiq­ue face à la dérive du pouvoir.

DES SÉRIES POLITIQUEM­ENT PRUDENTES

Si Donald Trump a son bataillon d’imitateurs et de contempteu­rs, le monde de la fiction se montre encore prudent. Les excès du vrai patron semblent déconcerte­r les auteurs autant qu’ils leur posent un défi. Lors d’une brève interview pour Le Temps, à l’automne passé, Aaron Sorkin, le créateur d’A la Maison-Blanche, lançait: «Je ne doute pas que tout scénariste vivant rêve à chaque seconde d’écrire sur ce qui se passe à la Maison-Blanche. C’est si énorme et si terrifiant à la fois que chacun voudrait capturer cette actualité et en faire quelque chose par écrit. Bien sûr, moi aussi, j’aimerais être aux commandes d’une série politique en ce moment. En même temps, je ne regrette pas d’avoir conçu un feuilleton sur un président, Bartlet, qui était purement de fiction, qui avait ses travers, ses défauts, mais qui, au final, avec son équipe, voulait faire quelque chose de bien.»

Alors que le cinéma américain a une riche tradition de films politiques depuis au moins Mr Smith

au Sénat (1939, déjà), les séries sont restées prudentes. Quand, au début des années 1990, les Anglais cassent la baraque politique avec House of Cards – le féroce roman de Michael Dobbs puis la série créée par Andrew Davis –, les Américains demeurent prudents. A la Maison-Blanche a ouvert la voie, en proposant une attitude pour la fiction: le bon Bartlet contraste avec le brouillon George W. Bush, empêtré dans l’après-11 septembre 2001.

Aujourd’hui, indépendam­ment du destin personnel de Kevin Spacey, l’actuelle House of Cards n’en finit pas de couler dans son cynisme lassant et sa paresse intellectu­elle. Elle n’apporte plus rien au genre. Le registre caustique se révèle plus intéressan­t, avec l’extraordin­aire Julia LouisDreyf­us en vice-présidente foutraque dans Veep, d’Armando Iannucci.

Divertisse­ment sans grande prétention, Designated Survivor, avec Kiefer Sutherland, offre, presque par surprise, quelques justes résonances qui font sens. Le héros accède à la présidence sans l’avoir voulu, ce qui est prêté à Donald Trump. Il fait face aux multiples tentacules du terrorisme, y compris à l’interne. Il doit aussi composer avec des Etats réticents, à l’image des tensions entre Washington et certains gouverneur­s, sur l’immigratio­n ou l’environnem­ent.

L’ADMINISTRA­TION TRUMP AURA SA SÉRIE

Et il reste Carrie Mathison, l’héroïne de Homeland, toujours agaçante, mais qui continue d’animer les Affaires étrangères de la première puissance face au vieux grigou des barbouzes, Saul.

Cependant, la fiction a horreur du vide et l’ère Trump aura bien son reflet propre. Les droits du livre coup de poing de Michael Wolff Le Feu et la Fureur ont déjà été acquis par Endeavor Content, une agence dont des entités ont oeuvré, en TV, pour The Night Manager, The Young Pope ainsi que la nouvelle série de Beau Wil

limon, celui qui a greffé House of

Cards à Washington. Il reste à trouver un acteur crédible pour incarner le boss.

Si Donald Trump a son bataillon d’imitateurs et de contempteu­rs, le monde de la fiction se montre encore prudent

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