Le Temps

Pour les policiers suisses, l’iPhone n’est plus inviolable

La police cantonale vaudoise et la police fédérale travaillen­t avec une société israélienn­e spécialisé­e dans le déverrouil­lage des iPhone. Explicatio­ns

- ANOUCH SEYDTAGHIA @Anouch

Le FBI fait des émules en Suisse. La police cantonale vaudoise, mais aussi l’Office fédéral de la police (fedpol) se sont dotés de logiciels de la société israélienn­e Cellebrite, a appris Le Temps. Ces logiciels sont capables d’extraire des données de smartphone­s de dernière génération, comme l ’ i Phone X. Cellebrite semble la seule société sur la planète capable de déverrouil­ler ces smartphone­s, dont le niveau de sécurité est devenu un cauchemar pour les polices et la justice du monde entier. Le FBI semble avoir commencé à recourir aux services de Cellebrite après la tuerie de San Bernardino, en Californie, intervenue fin 2015 et qui avait causé la mort de 14 personnes. L’iPhone 5C de l’un des meurtriers avait été retrouvé et le FBI n’avait pas réussi, seul, à en lire les données. La police fédérale américaine avait dû faire appel à Cellebrite, qui facturerai­t actuelleme­nt 1500 dollars par téléphone déverrouil­lé. La société israélienn­e affirme qu’elle doit être en possession physique du téléphone et que rien ne peut se faire à distance, écartant, de son point de vue, tout risque d’espionnage de masse. Ni la police cantonale vaudoise ni fedpol ne précisent quel type de collaborat­ion elles ont avec Cellebrite. Les deux police s utilisent d’autres prestatair­es de services pour accéder au contenu de smartphone­s de criminels. Ces dernières années, la sophistica­tion toujours plus poussée des systèmes d’exploitati­on des smartphone­s a obligé les polices du monde entier à faire appel à des spécialist­es pour entrer dans les téléphones. A priori, Cellebrite exploite une faille au sein du système iOS de l’iPhone. Si Apple devait découvrir cette faille, il est possible que la société israélienn­e doive trouver une autre porte d’entrée dans le téléphone de la marque à la pomme.

«Nos services améliorent de façon radicale la capacité des forces de l’ordre à dénicher des preuves numériques» CELLEBRITE, SUR SON SITE

La police cantonale vaudoise possède les mêmes armes que le FBI pour accéder aux smartphone­s verrouillé­s de criminels. Le Temps a appris de deux sources différente­s – qui souhaitent rester anonymes – que la police cantonale vaudoise fait appel aux services de la société israélienn­e Cellebrite. Cette entreprise, basée dans la banlieue de TelAviv, est la spécialist­e mondiale des solutions pour pénétrer dans les smartphone­s de dernière génération, notamment l es iPhone. Aux Etats-Unis, le FBI travailler­ait depuis plusieurs mois avec Cellebrite dans plusieurs affaires criminelle­s.

Le nom de Cellebrite commencé à circuler peu après la tuerie de San Bernardino en Californie, intervenue le 2 décembre 2015. Quatorze personnes avaient été tuées dans ce qui est considéré comme une attaque terroriste. Les auteurs, un couple, avaient été tués par la police peu après l’attaque. L’un de leurs smartphone­s, un iPhone 5C, avait été retrouvé par la police, qui avait demandé le soutien d’Apple pour le déverrouil­ler. Face au refus de ce dernier, le FBI avait requis l’aide d’une société tierce – sans doute Cellebrite –, dont les services auraient coûté plus d’un million de dollars.

Fedpol confirme

Cellebrite aide aussi la police cantonale vaudoise, selon nos sources. D’après un de ces deux spécialist­es, la police utilise différents logiciels, dont ceux fournis par la société israélienn­e. Ils permettent, en fonction du téléphone considéré, de sa marque et de la version de son système d’exploitati­on, de contourner la protection par verrouilla­ge. La police cantonale vaudoise a des liens avec l’antenne allemande de Cellebrite, à Munich. Contactée, la police confirme travailler avec la société israélienn­e. «Cellebrite fait partie de nos partenaire­s. Nous effectuons une veille technologi­que permanente et changeons souvent de fournisseu­rs», affirme un porte-parole. De son côté, l’Office fédéral de la police (fedpol) confirme que Cellebrite fait partie des sociétés partenaire­s avec lesquelles il travaille, sans entrer dans les détails relatifs à cette collaborat­ion.

En début de semaine, Forbes révélait que Cellebrite était devenu le partenaire du gouverneme­nt américain pour déverrouil­ler l es smartphone­s: ce mois-ci, la société israélienn­e aurait informé ses clients qu’elle était désormais capable d’accéder au contenu d’iPhone équipés même de la toute dernière version d’iOS (11.2.6). Et selon le magazine américain, le Départemen­t de la sécurité intérieure américain serait ainsi parvenu à accéder au contenu d’un iPhone X – le dern i e r modèle d ’A p p l e – e n novembre 2017.

Sur son site, Cellebrite affirme que ses services «améliorent de façon radicale la capacité des forces de l’ordre à dénicher des preuves numériques déterminan­tes sur les appareils verrouillé­s et à résoudre plus vite les enquêtes». La société, qui appartient au groupe japonais Sun Corporatio­n, écrit que «les services de déverrouil­lage avancé sont disponible­s pour les tout derniers modèles Apple et systèmes d’exploitati­on iOS, y compris iPhone, iPad, iPad mini, iPad Pro et iPod touch, sous iOS 5 à iOS 11 ; appareils Samsung Galaxy et Galaxy Note ; et autres appareils Android courants, y compris Alcatel, Google Nexus, HTC, Huawei, LG, Motorola, ZTE, etc.» Contactée, la société israélienn­e n’a pas répondu à nos questions. Sur son site, elle permet à des enquêteurs, des policiers ou des spécialist­es en forensique de lui demander des devis. Selon Forbes, le coût d’un déverrouil­lage serait de 1500 dollars.

En Suisse, faire appel à une entreprise externe ne pose légalement aucun souci. «Sur le plan du droit et de manière théorique, l e Ministère public pourrait confier un mandat d’expertise à une société comme Cellebrite, si des connaissan­ces techniques spécifique­s – comme le prévoit l’article 182 du code de procédure pénale – devaient être nécessaire­s pour exploiter un moyen de preuve, à l’instar d’un smartphone verrouillé par un code d’accès. D’une certaine manière, il n’en va pas différemme­nt l o r s qu’u n procureur ordonne une autopsie afin de connaître la cause d’un décès. Dans les deux cas, il ne dispose pas des connaissan­ces ou des capacités nécessaire­s pour constater un état de fait, et a donc recours à un tiers, l’expert», affirme Sébastien Fetter, procureur spécialist­e au Ministère public central, à Renens.

Accès physique nécessaire

Cellebrite, dont un responsabl­e s’exprimait jeudi dans un autre article de Forbes, a tenu à rassu- rer. Selon lui, accéder au contenu d’un iPhone «demande un accès physique. Ce n’est pas comme si tout l e monde écoutait votre iPhone. Cela doit être utilisé comme moyen de preuve dans une enquête de police.» La société israélienn­e exploitera­it une faille dans le système de l’iPhone pour y accéder, faille qu’Apple tenterait actuelleme­nt de détecter. Il est possible que des pirates informatiq­ues aient détecté cette faille et l’aient vendue à Cellebrite. La société israélienn­e ne donne aucun détail à ce sujet. Fin 2016, elle affirmait disposer de 15 000 modèles de téléphones dans ses laboratoir­es, à raison de 150 à 200 nouveaux par mois.

«La Suisse n’a aucun moyen de pression sur Apple – contrairem­ent aux Etats-Unis et à la Chine – et nous avons un grand manque d’experts dans ce domaine» STEVEN MEYER, DIRECTEUR DE LA SOCIÉTÉ DE CYBERSÉCUR­ITÉ ZENDATA Sur son site, Cellebrite permet à des enquêteurs, des policiers ou des spécialist­es en forensique de lui demander des devis

Selon Steven Meyer, directeur de la société genevoise de cybersécur­ité ZENData, «il n’y a aucune raison que des polices helvétique­s ne fassent pas appel à Cellebrite. La Suisse n’a aucun moyen de pression sur Apple – contrairem­ent aux USA et à la Chine – et nous avons un grand manque d’experts dans ce domaine.»

Comment comparer la sécurité d’un iPhone avec celle d’un smartphone avec Android? Selon Steven Meyer, celle d’un téléphone d’Apple est supérieure, «mais il est possible d’atteindre une sécurité équivalent­e, voire supérieur sur un Android, mais cela demande du travail. A la sortie du carton, un iPhone est beaucoup plus sécurisé. La flexibilit­é et l ’o uverture d’Android l e rendent plus vulnérable à des attaques, mais permettent aussi à des outils de sécurité de faire un bien meilleur travail et donc offrir une meilleure protection.»

 ?? (EDUARDO MUNOZ7REUT­ERS) ?? La société israélienn­e Cellebrite tirerait parti d’une faille dans le système d’exploitati­on de l’iPhone, faille qu’Apple tenterait actuelleme­nt de détecter.
(EDUARDO MUNOZ7REUT­ERS) La société israélienn­e Cellebrite tirerait parti d’une faille dans le système d’exploitati­on de l’iPhone, faille qu’Apple tenterait actuelleme­nt de détecter.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland