Le Temps

Le café, c’est bon pour (presque) tout le monde

Une analyse d’envergure de la littératur­e scientifiq­ue consacrée aux effets du café sur la santé enfonce le clou: la boisson protège de certains cancers et maladies. Seules les femmes enceintes devraient s’en méfier

- FABIEN GOUBET @fabiengoub­et

Des chercheurs ont compilé la (très) vaste littératur­e scientifiq­ue consacrée aux effets du café sur l’organisme. Il ressort de cette large analyse que le petit noir semble protéger de certains cancers, ainsi que de plusieurs autres maladies. Seules les femmes enceintes devraient s’abstenir de multiplier les tasses.

Un journalist­e pourrait passer toute sa carrière à écrire des articles sur les effets du café sur la santé. Pas une semaine ne passe sans que la boisson stimulante, l’une des plus consommées au monde, fasse l’objet de dizaines d’études scientifiq­ues dans les revues spécialisé­es. Google Scholar comptabili­se pas moins de 382 articles dont le titre contient «coffee consumptio­n» pour la seule période de janvier à mars 2018!

Or cette profusion d’études n’a pas vraiment permis d’y voir plus clair, au contraire. Annoncé cancérigèn­e le lundi, le café protège de la maladie d’après une autre étude publiée le lendemain, et ainsi de suite. L’incertitud­e scientifiq­ue conduit parfois à d’improbable­s décisions politiques: la Californie pourrait bientôt obliger les vendeurs de café à placer, comme sur les paquets de cigarettes, des messages de santé alertant le consommate­ur des effets cancérigèn­es de l’acrylamide contenu dans la boisson… Alors, dangereux, le café, oui ou non? Et sur quels travaux s’appuyer dans cette jungle?

Une «super-étude»

Récemment publiée, une analyse a retenu notre attention. Elle a été menée par une équipe internatio­nale dirigée depuis l’Univers ité de Cataneen Italie et regroupe médecins nutritionn­istes, oncologues et épidémiolo­gistes, tous indépendan­ts de l’industrie. Les résultats de 127 méta-analyses, des travaux de synthèse eux-mêmes basés sur un certain nombre d’articles scientifiq­ues consacrés à ce sujet, y sont épluchés. Une sorte de « méta- méta- analyse » , ou de «super-étude» sur les effets du café, donc. « Cette étude de grande échelle reflète bien ce que la littératur­e scientifiq­ue considère comme valide quant aux effets du café», dit Astrid Nehlig, directrice de recherche à l’Institut national français de la santé et de l a recherche médicale

(Inserm), présidente de l’Associatio­n pour la science et l’informatio­n sur le café et auteure de Café et santé – Tout sur les multiples vertus de ce breuvage.

Deux grands types recherches ont été inclus dans ces travaux. Il y a d’abord les études dites observatio­nnelles, qui établissen­t des corrélatio­ns entre les maladies identifiée­s et la consommati­on de café. Si vous lisez quelque part que «boire une tasse de café par jour augmente le risque de cancer de la prostate», il y a de grandes chances qu’il s’agisse d’une telle étude. Dans cet exemple fictif, les scientifiq­ues n’ont évidemment

pas fait ingurgiter du café à des volontaire­s afin de voir s’ils développai­ent un cancer: ils ont simplement constaté – sans établir de lien de cause à effet – que les malades avaient une consommati­on de café statistiqu­ement supérieure aux personnes saines.

L’autre catégorie, bien moins nombreuse, concerne les essais randomisés contrôlés, étalons-or de l’expériment­ation médicale. Lors de ces essais, les scientifiq­ues donnent des doses de café ou de caféine aux participan­ts et observent ensuite diverses variables (fréquence cardiaque, pression artérielle, rythme respiratoi­re, taux sanguin de caféine…). A la différence des études observatio­nnelles, les essais randomisés contrôlés établissen­t un lien de causalité entre la dose ingérée et le phénomène observé. Mais ils sont aussi beaucoup plus difficiles à mener – et plus chers, d’où leur nombre modeste.

En prenant en compte l’ensemble de ces dispositif­s expériment­aux, les auteurs ont voulu brosser le

tableau le plus complet possible. L’analyse de tout ce corpus leur a permis de conclure que les plus gros buveurs de café ont un risque de cancer significat­ivement réduit par rapport aux autres (petits buveurs et abstinents, selon les études). Les cancers de l’oesophage (–12%), de la prostate (–10%), ou du côlon (–8%) obtiennent les baisses les plus spectacula­ires. La palme revient cependant au cancer du pancréas, avec un risque réduit de 25%. Des résultats qui laissent sceptique Claude Pichard, médecin responsabl­e de l’unité de nutrition aux Hôpitaux universita­ires de Genève. «Dire que le café protège du cancer, c’est discutable. On sait aujourd’hui qu’il n’existe pas un unique cancer du foie ou du sein, mais une multitude de variantes, selon les personnes. Pour savoir sur quels cancers précis agit le café, il faudrait mener plus d’études.»

S’agissant des maladies cardiovasc­ulaires, le risque est globalemen­t 5% moindre chez les gros consommate­urs, et aucun effet sur la pres- sion sanguine n’a été mis en évidence. Il semblerait que les études l’ayant pourtant remarqué avaient insuffisam­ment pris en compte le tabagisme dans leurs calculs, écrit l’auteur Giuseppe Grosso. Des chiffres encore plus spectacula­ires sont établis dans le cas de la maladie de Parkinson (–30%) et du diabète de type 2 (–30%). Enfin, le risque de mort d’une quelconque cause durant l’une des études cliniques considérée­s est quant à lui inférieur de 14%. De quoi rassurer les amateurs de café.

Un demi-litre par jour

La plupart des études n’ont pas pris en compte le volume exact de café ingéré, et encore moins sa teneur en caféine. Mais pour celles qui l’ont fait, le bénéfice est directemen­t proportion­nel à la quantité de café bue, avec un maximum se situant autour d’environ un demi-litre par jour, «un volume couramment consommé en Europe du Nord ou de l’Est», assure l’auteur principal, Giuseppe Grosso.

Il y a toutefois un seul cas ou le café semble augmenter les risques: chez les femmes enceintes. Il est en effet associé à un plus fort risque de fausse couche (10%), de faible poids de naissance et enfin de leucémie aiguë chez l’enfant ( 5 7 %) . Les causes exactes demeurent obscures, mais il se pourrait qu’elles aient un rapport avec la capacité de dégradatio­n de la caféine par la mère, fortement ralentie durant la grossesse. La molécule passerait alors dans l’organisme foetal, incapable de la dégrader, alors même qu’on la suspecte d’avoir des effets délétères sur les systèmes de réparation de l’ADN, ce qui, in fine, pourrait expliquer le développem­ent de leucémies chez ces enfants.

Mystères à élucider

En d’autres termes, les femmes enceintes devraient se limiter à de modestes quantités de café ou opter pour le décaféiné. «Le pan de la littératur­e scientifiq­ue examinant les liens entre la consommati­on de café au cours de la grossesse et les leucémies de l’en- fant a été récemment remis en doute par la communauté de chercheurs en raison de l’insuffisan­ce des données: il faut considérer ces chiffres avec précaution», prévient cependant Astrid Nehlig.

Reste à expliquer par quels mécanismes la boisson noire parvient à nous protéger de ces maladies. La tâche n’a rien d’une partie de plaisir. «Avec ses centaines de molécules, le café est une boisson très complexe à étudier», confirme la directrice de recherche. Parmi les molécules suspectées de jouer un rôle, il y a bien sûr la caféine. En agissant sur certaines enzymes impliquées dans la régulation de l’activité du foie, de l’insuline et du métabolism­e de glucose, elle pourrait protéger l’organisme du diabète de type 2 et

Le bénéfice est directemen­t proportion­nel à la quantité de café bue

de certains cancers. D’autres molécules antioxydan­tes et anti-inflammato­ires contenues dans les grains de café ont sans doute également des effets protecteur­s qui restent à déterminer.

En attendant, le café, après avoir eu mauvaise presse, mérite bien sa place dans un style de vie sain. Ou presque: «Ecrire comme les auteurs l’ont fait que le café peut contribuer à une meilleure hygiène de vie est certaineme­nt vrai, mais il aurait fallu préciser «selon les doses de chacun», car la tolérance au café est loin d’être universell­e, estime Claude Pichard. Disons plutôt que toute personne supportant bien le café peut en tirer des bénéfices.»

«Dire que le café protège du cancer est discutable. Il n’existe pas un unique cancer du foie ou du sein, mais une multitude de variantes» CLAUDE PICHARD, MÉDECIN AUX HÔPITAUX UNIVERSITA­IRES DE GENÈVE

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(DIMITRI OTIS/GETTY IMAGES) Les effets protecteur­s du café agissent par des mécanismes encore difficiles à expliquer aujourd’hui.

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