Le Temps

Prédestina­tion

- YVES PETIGNAT JOURNALIST­E

A moins de 100 dollars, les analyses d’ADN sont désormais à la portée de chacun. Or leur généralisa­tion est en train de bouleverse­r notre conception de la liberté et de la responsabi­lité individuel­les. Vous êtes malade? C’est de votre faute; l’assurance maladie vous sanctionne­ra. Parce que les tests ADN auront révélé, par exemple, une prédisposi­tion à des problèmes cardiaques, le patient qui n’aura pas adapté son mode de vie à ce risque devra- t- il un jour être pénalisé? C’est l’un des vertiges auxquels la banalisati­on des analyses nous confronte déjà. De 50 000 tests effectués pour des raisons médicales en Suisse en 2008, nous sommes passés à 140 000 en 2016. Cela sans compter les demandes destinées à déterminer certaines caractéris­tiques, des aptitudes à un sport ou un régime alimentair­e adéquat. C’est la raison pour laquelle, en début de sa session de printemps, le Conseil national s’est saisi d’une révision de la loi fédérale sur l’analyse humaine dix ans à peine après son entrée en vigueur. Un débat d’une extrême importance éthique, et c’est assez rare, d’une haute tenue.

Ainsi, les tests prénataux, pour diagnostiq­uer d’éventuels bébés sauveurs, doivent pouvoir être réalisé savant la douzième semaine de grossesse. Le sexe de l’embryon ne pourra être communiqué avant l a douzième semaine pour éviter des interrupti­ons de grossesse pour des raisons de préférence. Par ailleurs, les assureurs vie ne doivent pas accéder aux tests réalisés préalablem­ent par leurs assurés sauf pour des sommes en jeu au-delà de 400 000 francs.

Mais combien de temps résisteron­t ces garde-fous? Une majori té de l a commission de l a science, désavouée par le plénum, proposait d’ailleurs d’autoriser les assureurs vie à obtenir ces données. Déjà assureurs vie et assureurs maladie ne sont pas sur un pied d’égalité. Même si el l es n’y ont pas encore eu recours, les assurances maladie sont légalement en droit d’obtenir les résultats d’analyses antérieure­s l ors de l a conclusion d’assurances complément­aires. Restera la question du «droit de ne pas savoir», la possibilit­é laissée à chacun de ne pas se soumettre à de telles investigat­ions dont les résultats sont susceptibl­es de bouleverse­r leur vie. Comment vivre avec la certitude de l’absence de tout traitement à une maladie qui vous menace?

Et se posera très vite le problème de l’accès de l’employeur aux données personnell­es de son collaborat­eur. Aujourd’hui, des analyses peuvent être réalisées pour déterminer les caractéris­tiques ayant un rapport avec le poste. Mais le médecin ne peut révéler à l’employeur si le salarié est compatible ou pas avec l’emploi. Qu’en sera- t- i l demain lorsque les résultats seront stockés dans un cloud par la société spécialisé­e 23andMe de Google ou un laboratoir­e chinois?

En réduisant notre vie, du moins notre santé, nos aptitudes et nos risques, à des prédisposi­tions génétiques, la médecine prédictive par l es tests ADN pourrait remettre en cause notre conception l i bérale de l ’être humain: l’essence unique des individus et leur liberté de déterminat­ion. Vertigineu­x. ▅

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