Armes à feu et Europe, un cocktail explosif
Sous la pression des cantons, le Conseil fédéral assouplit un peu la reprise de la directive européenne sur les armes. Insuffisant, selon les milieux proarmes et souverainistes, prêts à dégainer le référendum
L’arrivée récente d’Ignazio Cassis au sein du Conseil fédéral, membre éphémère de l’association proarmes ProTell avant son élection, n’aura pas changé grand-chose. La Suisse, en tant que pays associé aux Accords de Schengen, a deux ans pour reprendre la directive européenne sur les armes de 2017. Le gouvernement a transmis vendredi son message au parlement fédéral. Il fait un pas en direction des cantons, qui se sont montrés critiques durant la consultation, en allongeant de deux à trois ans le délai d’annonce des armes visées par l’UE. Il compte aussi participer financièrement à l’adaptation des systèmes d’information des cantons.
Mais pour le reste, le gouvernement persiste: il n’est ni possible de renégocier avec l’UE ni de se soustraire aux nouvelles règles comme pays associé aux Accords de Schengen. «Ce projet concerne la loi sur les armes. Mais ce sont aussi nos relations à l’Europe qui sont en jeu», prévient la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga.
Changement pour certains tireurs sportifs
La nouvelle directive européenne sur les armes est née dans la foulée des attentats de Paris de novembre 2015. Elle vise à restreindre l’accès aux armes ayant selon l’UE le plus grand potentiel de dangerosité, principalement des semi-automatiques avec des chargeurs de grande capacité, qui permettent de tirer en rafale sans recharger.
Avec son projet, le Conseil fédéral dit avoir exploité toute la marge de manoeuvre à sa disposition. Concrètement: rien ne changera pour les soldats et leurs armes d’ordonnance. Les chasseurs ne sont pas concernés non plus. En revanche, les tireurs sportifs qui souhaiteraient acheter une arme semi-automatique interdite dans l’UE devront solliciter une autorisation. Pour l’obtenir, ils devront prouver soit qu’ils sont membres d’une société de tir, soit qu’ils pratiquent régulièrement leur sport.
Les collectionneurs et les musées devront prendre des mesures spéciales pour acheter ou conserver les armes semi-automatiques concernées. Les propriétaires actuels d’armes bannies par l’UE devront s’annoncer auprès de leur canton. Enfin, tous les éléments des armes seront marqués et les armuriers devront renseigner les autorités sur les transactions. «Nous n’allons certes pas assécher le marché noir, mais nous aurons plus de prise sur ce dernier», indique la ministre socialiste.
Référendum programmé
A chaud, le conseiller national Jean-Luc Addor (UDC/VS), vice-président de ProTell, se montre insatisfait. Le Conseil fédéral n’a rien changé de significatif suite à la consultation, souligne-t-il. Le Valaisan estime par ailleurs que les dernières révisions de la loi sur les armes permettent déjà de satisfaire aux nouvelles exigences européennes. Jean-Luc Addor en est convaincu: «Au lieu de frapper des terroristes, ce durcissement de notre droit sur les armes punira des centaines de Suisses respectueux des lois et détenteurs d’armes légales.»
Le référendum est programmé. En cas de vote, les délais ne seront sans doute pas respectés, admet Simonetta Sommaruga. Et que se passera-t-il si la Suisse ne reprend pas la directive ou de manière incomplète? Le Conseil fédéral le décrit dans son message: «Une procédure est lancée, qui aboutit automatiquement à la fin de l’accord d’association à Schengen, à moins que le comité mixte en décide autrement à l’unanimité dans le délai imparti.» Jean-Luc Addor balaie ce scénario, notant la possibilité également prévue par les Accords de Schengen d’un mécanisme de négociations. «Je ne crois pas une seconde que l’UE irait jusqu’à résilier cet accord.»
Pertes en milliards
Le Conseil fédéral ne veut courir aucun risque. Il rappelle les avantages pratiques, sécuritaires et économiques des Accords de Schengen et de Dublin. Selon un rapport publié le mois dernier, il coûterait entre 400 et 500 millions de francs à la Suisse pour assurer sa sécurité intérieure en développant un système comparable à Schengen. La fin des Accords de Schengen et de Dublin en 2030 signifierait par ailleurs une perte annuelle située entre 4,7 et 10,7 milliards de francs pour l’économie suisse.
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Rien ne changera pour les soldats et leurs armes d’ordonnance