Le Temps

Berlusconi, cavalier pas vraiment seul

Dimanche, jour de derby contre l’Inter, Silvio Berlusconi concourra à ses premières élections depuis qu’il n’est plus propriétai­re de l’AC Milan. Un club qu’il continue d’utiliser à des fins politiques

- VALENTIN PAULUZZI, MILAN @vpauluzzi

A 81 ans, et après avoir déjà occupé trois fois le poste de président du Conseil entre 1994 et 2011, Silvio Berlusconi a décidé de repartir au combat à la tête de son parti Forza Italia. Il s’est allié avec la Lega Nord, Fratelli d’Italia et l’Unione di Centro pour former une coalition de centre droit favorite selon les sondages. Malgré de graves problèmes de santé qui ont failli lui coûter la vie en juin 2016, l ’octogénair­e semble plus en forme que jamais et a enchaîné les émissions radio et télé durant la dernière ligne droite.

Entre une propositio­n de réformes des impôts et la promesse de l ’augmentati­on des retraites, le Cavaliere n’a pu se retenir de donner son avis sur le Milan AC: «Je suis fier du travail de Rino Gattuso, il a insufflé le bon esprit, celui qui nous a permis de tout gagner dans le monde. Le même esprit qui, j’espère, nous permettra de remporter le derby et avec lequel nous gagnerons assurément les élections.»

Voilà près d’un an que Berlusconi a vendu le club à un pool d’investisse­urs chinois, après en avoir été propriétai­re pendant plus de trente ans et vingt-neuf trophées remportés. Une précieuse vitrine pour sa nouvelle carrière commencée tambour battant en 1994. Deux doublés sont réalisés cette année-là: l’un avec le Milan, le championna­t et l a Ligue des champions, l’autre avec Forza Italia, vainqueur des élections parlementa­ires puis européenne­s.

Le poids des tifosi

Un scénario classique selon Marco Bellinazzo, journalist­e au quotidien financier Il Sole 24 et auteur du livre I veri padroni del calcio ( « Les vrais patrons du foot»): «Quand le Milan gagnait, Forza Italia gagnait. Quand le Milan était en difficulté, Forza Italia tendait à perdre. Ce n’est pas une coïncidenc­e.» Selon des sondages effectués au sein du parti même, des tifosi rossoneri mécontents pouvaient coûter 2% des voix alors que ceux satisfaits pouvaient en faire gagner 2 de plus, soit une fourchette non négligeabl­e de 4%.

De fait, Berlusconi n’hésitait pas à mélanger les genres en campagne électorale comme en 2008 lorsqu’il avait promis de battre les communiste­s et de recruter Ronaldinho. Choses faites et retour au pouvoir après seulement deux ans d’absence. Or la médaille a un revers, comme le confiait son fidèle acolyte Fedele Confalonie­ri au Corriere della Sera. « Il est évident que le football a été utile pour la politique et que cela a pesé, mais cela s’est révélé une arme à double tranchant. Quand il a vendu Kaká [en 2009], des milliers d’électeurs ont écrit le nom du joueur sur le bulletin de vote.»

Reste qu’entre 1994 et 2017, le Milan a conquis 16 titres dont dix lors des huit années cumulées durant lesquelles le Cavaliere présidait le Conseil des ministres. «Il ne s’en est jamais caché, le Milan a représenté le simulacre de son message politique individual­iste et l i béral. Quelque chose de presque existentie­l, une vie basée sur le succès où il faut prendre des risques, oser, jouer offensif», analyse Marco Bellinazzo. Une transposit­ion de ses idéaux qui lui a coûté près d’un milliard d’euros en trois décennies jusqu’au jour où, dépassé par les mutations de l’économie du foot, il a dû admettre que la vente était une fatalité.

La posture du sauveur

La vente a été actée le 13 avril 2017 après de très longues négociatio­ns et alors que sa carrière politique semblait derrière lui, Berlusconi réussit aujourd’hui à tourner ce passage de témoins en sa faveur. «Il a toujours déclaré avoir laissé le Milan entre de bonnes mains. Par exemple, ces dernières semaines, des enquêtes remettent en cause la solidité financière de Li Yonghong, mais il est intervenu pour le défendre. S’il avait vendu son club à n’importe qui, les tifosi lui rejetterai­ent la faute. Là, il peut dire: «Votez encore pour moi car même si je l’ai vendu, je suis encore proche de vous émotionnel­lement.» N’oubliez pas que c’est le roi de la communicat­ion.»

Pour ce qui est, en théorie, son baroud d’honneur, le Caïman a fait appel à un vieil ami, Adriano Galliani, son bras droit au Milan pendant trente ans et même principal décideur à la fin de son règne. Le célèbre chauve à la cravate jaune est candidat au Sénat dans une des trois circonscri­ptions de la Lombardie. Si le centre droit l’emporte, il est même pressenti pour le poste de ministre des Sports.

Le Messi de la politique

« En 1994, la gauche pensait gagner mais elle n’avait pas compris qu’elle affrontait Messi. Il m’avait déjà proposé d’être candidat, mais je ne voulais pas car le Milan avait des supporters de tous bords. Cette fois, j’ai accepté avec enthousias­me; je l’ai fréquenté toutes ces années, c’est comme-ci j’avais obtenu un Master en politique», a déclaré Adriano Galliani à La Gazzetta dello Sport.

Il a déjà une voix dans la poche, celle du très populaire Gattuso, coach depuis novembre et capable de sortir brillammen­t le club de la crise. «J’habite à Gallarate, là où Galliani est candidat, je vote pour lui, c’est un ami » , déclarait le champion du monde 2006 après la dernière victoire à Rome. Et si Berlusconi ne peut toujours pas s’empêcher de distiller ses conseils tactiques, il ne pouvait espérer meilleure consigne de vote.

«Le Milan a représenté le simulacre de son message politique individual­iste et libéral. Une vie basée sur le succès où il faut prendre des risques, oser, jouer offensif»

MARCO BELLINAZZO, JOURNALIST­E Il a déjà une voix dans la poche, celle du très populaire Gattuso, le nouveau coach de l’AC Milan

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