Le Temps

UN LAPIN POUR LA VIE

- PAR JULIEN BURRI

Pascale Favre raconte et dessine son lapin Aster, dans la Genève de la fin des années 1970. Mélancoliq­ue et doux

◗ C’est un beau livre illustré à la couverture bronze mat, orné d’un lapin crayonné au graphite, étonnammen­t vivant et qui semble vous regarder, curieux, à l’affût. Dans ces pages, l’artiste genevoise Pascale Favre raconte l’histoire de son lapin, Aster. «Aster», parce que ses pattes battaient le sol en cadence, comme s’il pratiquait les claquettes, à la manière de l’acteur Fred Astaire.

Nous s ommes àlafindes années 1970 et au début des années 1980, dans une cité d’habitation genevoise de Meyrin, qui ressemble à s’y méprendre à un « clapier » . Le reste de la famille vit à la campagne et vient parfois en visite dans l ’ i mmeuble de neuf étages. Deux mondes, deux conception­s de la nature s’opposent. Pour l’oncle paysan, les animaux sont élevés pour être mangés. « Paulet se moquait gentiment de notre mode de vie trop moderne, c’està- dire absurde: du béton, du verre, de l’aluminium et un lapin de compagnie.» C’est la dimension subtilemen­t sociologiq­ue, et historique, de ce petit récit mélancoliq­ue et drôle, illustré avec tant de beauté.

INTELLIGEN­CE DU CORPS

L’histoire commence dès le magasin, le choix du lapin que l’on qualifie, à tort, de «nain». Malgré les idées reçues, le lagomorphe n’aime pas qu’on lui caresse le ventre ni qu’on le porte dans ses bras et se défend faroucheme­nt en mordant. Les doigts de Pascale Favre se souviennen­t de ses incisives, du mercurochr­ome, mais aussi de l a douceur de sa f ourrure. Aujourd’hui, elle lui rend un vibrant hommage. Car Aster, le «lapin-clown», aimait se donner en spectacle sur le balcon familial, son domaine, son territoire « criblédepe­tites pétoles». Non, il ne voulait pas qu’on le caresse, mais qu’on admire ses tours de piste.

Pascale Favre le dessine donc pleine page, splendide, dans toutes les positions, s’ébattant avec un plaisir non dissimulé. Loin de toute mignardise anthropomo­rphique, elle lui conserve son mystère de bête. Elle accepte qu’il lui échappe et que son point de vue animal, impossible à saisir, demeure opaque. Comme le lapin blanc d’Alice, il est son guide. Pas vers le pays des merveilles, mais vers l’enfance perdue. Grâce à Aster, Pascale Favre remonte le temps, dans ces strates d’émotions qui l’ont façonnée, elle. Aster lui permet de renouer avec cette intelligen­ce du monde acquise par le corps, pas par les mots.

LA NATURE DANS LE BÉTON

Le livre égraine une série d’anecdotes savoureuse­s: le jour où sa grand-mère, inconscien­te, lui offre un petit blouson en peau de lapin argenté. Le jour où on sert du lapin à table. L’arrivée sur le balcon d’un second lapin, femelle cette fois, appelé Isidore, et ce qui s’en est suivi. La souffrance muette de l’animal, effrayante et nue, le dernier jour de sa vie.

Le lagomorphe qui n’aimait pas particuliè­rement les carottes assurait un lien avec la nature, le monde, le vivant. Il offrait, dans l’immeuble de béton, le spectacle d’une tendresse quotidienn­e. A travers lui, c’est de son enfance genevoise que Pascale Favre continue de prendre soin. Si Aster ne se laissait pas toucher, elle le caresse inlassable­ment aujourd’hui de la pointe de son crayon. ▅

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Editeur | art&fiction Pages | 90 ??
Genre | Récit Auteur | Pascale Favre Titre | Aster. Une vie de lapin Editeur | art&fiction Pages | 90

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