Le Temps

UNE FERME AUX CONFINS DU MONDE

- PAR ÉLISABETH JOBIN

En prenant pour point de départ une maison isolée, l’Islandais Gudbergur Bergsson retrace l’ouverture de son pays au monde dans la période d’après-guerre

◗ C’est à l’aube de la Seconde Guerre mondiale que le continent européen relève enfin l’existence de l’Islande. Avec elle sortira de l’ombre une lande reculée, celle où l’auteur Gudbergur Bergsson établit l’épicentre de son roman Il n’en revint que trois.

«Les visiteurs étaient susceptibl­es d’arriver de deux directions», explique-t-il de son écriture blanche, posant le décor. «Soit ils traversaie­nt le champ de lave situé à l’est, soit ils empruntaie­nt les cols et les gorges dénués de végétation, à l’ouest. Au nord, il y avait la montagne infranchis­sable et, au sud, l’océan venait se briser sur les écueils.» Posée à la confluence de ces paysages, une ferme, où vit un couple d’agriculteu­rs âgés, leur fils revêche, chasseur de renards invétéré, ainsi que leurs deux petites-filles — des «gamines» dont les mères respective­s, on l’apprend bientôt, sont parties voir ailleurs si la vie y est plus douce.

AUBAINE OU CATASTROPH­E

Ménageant une distance surprenant­e, quelques fois déstabilis­ante, avec ses personnage­s, jamais Gudbergur Bergsson ne révèle les noms des uns et des autres, préférant les désigner par leurs liens familiaux. Un peu comme si l’immuabilit­é du lieu se transférai­t aux humains: ils sont les passeurs d’une histoire appelée à se renouveler. Or le conflit mondial s’apprête à s’étendre jusqu’aux confins de la terre, et même de ce lieu où «le seul horizon d’attente se résume à un éventuel changement dans la météo, mais en général le ciel est couvert». Aubaine ou catastroph­e, la guerre et ses visiteurs vont peu à peu chambouler le frêle écosystème qui régnait jusque-là dans la ferme isolée. Une génération après l’autre, ses habitants s’émancipent du paysage — et c’est cette étrange métamorpho­se que raconte en creux notre roman, avec une bonne dose de désillusio­n.

C’est d’abord un déserteur allemand que la famille accepte de cacher dans une grotte, bientôt chassé par un détachemen­t anglais qui plante son campement sur la lande. Puis arriveront les Américains victorieux. Ainsi l’auteur, né en 1932, écrit-il une version transversa­le de l’histoire de l’Islande, une histoire qui est aussi la sienne. Il en remonte le fil jusqu’à nos jours, poursuivan­t de sa plume des personnage­s dont les vies gravitent autour de la maison recluse, remplie d’anecdotes qui resurgisse­nt de page en page. A la fois abri contre les terreurs du monde et refuge solitaire, elle se fait le terreau du conte allégoriqu­e de Bergsson. ▅

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Titre | Il n’en revint que trois Traduction | De l’islandais par Eric Boury Editeur | Métailié
Pages | 207
Genre | Roman Auteur | Gudbergur Bergsson Titre | Il n’en revint que trois Traduction | De l’islandais par Eric Boury Editeur | Métailié Pages | 207

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