Le Temps

Voter pour ne pas perdre la mémoire

- PAR STÉPHANE GOBBO @StephGobbo

Alice sur un banc, la mémoire en berne, le regard éteint. C’est le dernier plan de Still

Alice, avec Julianne Moore dans le rôletitre, et c’est émouvant, forcément. Au cinéma, le motif de la perte de mémoire permet mille approches, entre chronique vériste, mélodrame pompier et film d’action pétaradant – Jason Bourne, lui aussi, ne se souvient plus très bien. Tout ça pour dire que la mémoire, c’est important, ça nous constitue. Or la Suisse, ce week-end, pourrait la perdre.

Il n’aura échappé à personne qu’une votation cruciale autour d’une insidieuse initiative a lieu ce week-end. Inutile d’en redonner l’intitulé trompeur, car il s’agit en réalité de se prononcer pour ou contre le service public. Depuis des semaines, les médias comme les réseaux sociaux ne parlent que de ça, avec un fossé assez énorme entre les deux camps et des échanges parfois peu cordiaux. Mais au-delà de la défense de la cohésion sociale ou du respect du multilingu­isme, c’est la question de la mémoire, notre mémoire, qui est en jeu.

Un opérateur téléphoniq­ue malin a récemment produit une publicité jouant la carte du sport et de l’émotion. On y revoit les exploits des grands noms du ski suisse. Les Jeux olympiques approchaie­nt, c’était bien vu. L’opérateur ne cite pas explicitem­ent ses sources, mais les images appartienn­ent à la SSR; ce service public qui, depuis sa création, est devenu un supercerve­au stockant des images afin que l’on se souvienne. Restons dans le ski: le brillant documentai­re Russi-Collombin, un duel au

sommet vient de connaître de jolis succès d’audience tant à l’enseigne de Temps pré

sent qu’en Suisse alémanique et au Tessin. Son montage alerte joue magnifique­ment, lui aussi, avec des images d’archives. La multitude de reportages de la SSR consacrés au roi Federer pourront sûrement, un jour, nourrir un documentai­re épique.

Le cinéma suisse doit également beaucoup au service public. La fameuse génération des Reusser-Goretta-Tanner, réunie au sein du Groupe 5, a pu démarrer grâceà la télévision. La même RTS qui, aujourd’hui, produit quatre fictions réalisées par les mousquetai­res de Bande à Part (Meier-Baier-Bron-Mermoud) et revisitant des faits divers romands récents. Je pourrais multiplier les exemples, partir par exemple du côté des combats écologique­s qui ont agité la Suisse depuis les années 1970. Tout ça pour dire que, dans le fond, plus que le démantèlem­ent du service public, ce qui me terrorise vraiment, c’est de perdre la mémoire, notre mémoire collective. Lundi matin, je n’ai pas envie de me réveiller dans la peau d’Alice au pays d’Alzheimer.

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