FRANZ FERDINAND, ALORS ILS DANSENT
Les Ecossais publient un cinquième album sur lequel ils parviennent une nouvelle fois à se réinventer. Rencontre.
Le groupe écossais est parvenu à se réinventer, sur scène comme en studio. Pour le meilleur, une fois de plus
◗ C’est quoi, finalement, un grand groupe de scène? On tombe parfois sur des critères moyennement pertinents pour le définir: un chanteur qui se roule par terre dans une spontanéité discutable, des musiciens bien trop électrifiés pour être honnêtes, ou encore des jeux de lumière façon Voie lactée qui viennent surtout souligner un flagrant manque d’imagination. Une poudre aux yeux que refusent de renifler les Franz Ferdinand quand ils se pointent à la cool devant leurs micros, comme s’ils passaient les portes d’un supermarché. Le chanteur, Alex Kapranos, a le charisme tranquille de ceux qui savent. Toujours aussi fit, peroxydé parce qu’encore assez jeune pour le faire à 45 ans, avec cette seule fantaisie live: ses sauts jambes écartées, à la souplesse limitée, un exercice qui lui a d’ailleurs valu l’une de ses plus belles déconvenues en France voilà quelques années – pantalon déchiré pour un déballage intégral du contenu.
Idem pour ses camarades de jeu. Bob Hardy, bassiste statufié tel un troll écossais, et ça tombe bien, c’est le rôle de composition idéal pour un bassiste. Paul Thomson, le batteur? C’est comme si un marionnettiste un peu feignant lui agitait les bras à temps partiel, avec en plus quelques fils coupés, tellement il reste sage. Mais le plus important est ailleurs: dans l’exceptionnelle qualité d’interprétation des dix-huit morceaux d’une setlist idéale, notamment les quatre du rappel, vraies piqûres d’adrénaline pour retourner une salle déjà bien secouée. On retrouve un vrai respect des compositions, aucune faute de carre, et quelques petites fantaisies live tout à fait délectables. Voilà ce qu’ont pu voir les spectateurs du Zénith parisien mardi dernier, et ce que verront sans doute les chanceux présents à Zurich le 11 mars. Pour cette conclusion, donc: en dépit de sa grande sobriété, Franz Ferdinand est définitivement un grand groupe de scène.
SENS DE LA MÉLODIE
Et sur disque alors? Les Ecossais viennent tout juste de sortir Always Ascending, leur cinquième album, ou leur sixième si on veut bien compter leur collaboration avec les Sparks en 2015. Avec un changement de personnel, pour la toute première fois de leur histoire. Effrayé par une énième tournée à rallonge, le guitariste Nick McCarthy a préféré changer de vie et s’occuper de ses enfants. Deux hommes sont venus le remplacer: Dino Bardot (guitare) et Julian Corrie, qui ajoute une grande maîtrise du synthé à celle de sa six cordes. Philippe Zdar (Cassius), le producteur français branché électro, s’est lui chargé de donner un son nettement plus dance à des chansons qui ont cependant gardé leur incomparable sens de la mélodie. «Le maître de son art», selon Kapranos, pour une grande réussite, même si le virage n’est finalement pas aussi spectaculaire qu’annoncé. Mais l’évolution est certaine, pour le meilleur.
On rencontre le bassiste pour évoquer tout ça. On commence par le féliciter pour la qualité de son accent écossais, vu qu’on comprend tout du premier coup. Faux départ: Bob Hardy est Anglais, et notre trou de mémoire le fait bien marrer. Comme les questions qu’on lui soumet, qui ressemblent probablement à toutes celles auxquelles il répond depuis des semaines dans la presse anglo-saxonne: «Pas de souci, c’est le jeu, et on est très contents d’être là.» Contents d’être de retour aussi, après avoir tangué au bord du vide: «Pendant trois ans, on était un groupe entre parenthèses, on n’existait plus. Nick avait annoncé son départ, on avait besoin de réflexion. Et on se retrouvait à trois en studio, on écrivait des chansons qu’on était incapables de jouer parce qu’on n’était pas assez nombreux. Mais ce fut un mal pour un bien, ça nous a obligés à penser à de nouvelles choses, et on a pu revenir beaucoup plus frais.» Revenir à cinq, avec un petit virage sonique nécessaire: «Ce besoin de faire un truc différent, on l’a ressenti de façon évidente, pour renouveler notre intérêt et aussi pour rester intéressants aux yeux du public. C’est un danger qui concerne tous les groupes du monde, et pas seulement nous: l’excitation peut vite s’envoler avec le temps, en studio comme sur scène.»
LE PLAISIR DES TUBES
Retour au concert, justement. Les nouveaux titres sont certes impeccables, mais ce sont toujours les standards légendaires du tout premier album – «The Dark of the Matinée», «This Fire» – qui restent les plus appréciés. Le vrai sommet: «Take Me Out», avec son intro allongée, le public qui grimpe pour monter jusqu’à la transe, et l’énergie inépuisable d’un refrain qui ne vieillit pas. Certains groupes trop installés refusent de jouer leurs vieux tubes, sous couvert de lassitude, de changement d’orientation musicale, ou autre fallacieux prétexte. Deux messages pour ceux-là: d’abord, filer voir Neil Young à la première occasion et s’imprégner de son éternel enthousiasme quand il joue «Cinnamon Girl» pour la 8978e fois. Et écouter Bob Hardy: «Ces chansons, on ne les travaille plus en studio, on les connaît par coeur. Mais c’est toujours un plaisir en live, et on sait très bien que 100% de notre public n’attend qu’une chose: qu’on les joue devant eux. Ça nous met une pêche pas possible, et on leur donne désormais une nouvelle vie avec les claviers.» Force est de reconnaître que leur premier album de 2004 reste un crime parfait et toujours le sommet du groupe, sans doute à jamais.
La tournée mondiale s’annonce longue, une fois de plus. Le bassiste connaît déjà la palette des sensations qui vont s’emparer de lui: «La joie d’être sur scène, toujours, et aussi la fatigue et la perte de contact avec la réalité. On va remettre ça, oui, se réveiller parfois sans savoir dans quel pays on se trouve. Ça peut être le sentiment le plus agréable du monde, d’être totalement perdu.» On lui parle alors de la récente biographie de Peter Hook, l’ex-bassiste de New Order, ses excès à peine imaginables, et il se marre encore: «Je crois que Peter était vraiment doué pour ce mode de vie. Heureusement, le mien est nettement plus calme. Mais j’ai besoin de lire ce bouquin, oui. Déjà celui sur l’Haçienda était fort, mais là, ça promet d’être mythique. Je l’ai mis dans les bagages, j’aurai le temps de m’y plonger les mois qui viennent.»
En concert le dimanche 11 mars à Zurich, Halle 622.