Classique
La violoncelliste suisse fait tourner l’originalité de son deuxième enregistrement avec enthousiasme. Elle propose un vernissage de «Bach & Friends» dans les locaux du «Temps»
Estelle Revaz, rencontre avec une violoncelliste qui a mis sa vie en musique
Sa longue robe rouge bouillonnante et son violoncelle brandi sur un immense rire de victoire n’ont pas fini de précéder Estelle Revaz. Cette image forte, qui illustre la pochette de son deuxième album, Bach & Friends, la définit tout entière: belle et rebelle, vitale et joyeuse. La musicienne de 28 ans assume sans complexe une communication très active, tant sur les réseaux que dans les médias traditionnels.
Où avez-vous appris à vous mettre en valeur de façon si naturelle? Communiquer et partager est essentiel pour moi. Si on ne parle pas d’un concert ou d’un disque, ils sont morts avant même d’atteindre le public. Pour moi, le plus important, c’est le contact, l’échange. Avec les musiciens ou les compositeurs qui m’accompagnent comme avec les auditeurs ou la presse. Il ne s’agit à aucun moment de faire ma publicité, mais d’entrer en contact avec les autres, de susciter du lien. J’ai besoin de partager mon bonheur.
Vous assumez un visuel très féminin sur la pochette de votre deuxième CD. Par désir ou par obligation? L’apparence, sur un disque classique, est un phénomène complexe. Elle doit à la fois s’appuyer sur une forme de séduction et de tradition. La féminité est une donnée à laquelle je ne veux personnellement pas être soumise, particulièrement en ces temps où elle est bousculée. Mais je dois aussi faire avec: je suis une femme et je veux faire aimer mes projets. Il y a eu deux séances de photos pour Bach & Friends. La première, les pieds dans le Léman, où j’ai mis une journée à me réchauffer, ne me suggérait aucune émotion. C’était juste un corps. Pour la seconde, qui a commencé de façon très classique, j’ai tout à coup eu envie de crier et de jouer avec l’instrument comme un jouet ou un être vivant. C’était ça. Tout le reste a suivi. Il n’y a rien de prémédité.
Vos deux premiers disques proposent des choix originaux. Est-ce déjà une signature ou une nécessité de se différencier? J’ai besoin de chercher et d’inviter à suivre des pistes qui aient un sens, et de risquer des expériences nouvelles. Le premier disque, Cantique, s’inscrivait dans un projet particulier avec Andreas Pflüger qui a composé un concerto pour violoncelle pour moi (Pitture), entre l’oeuvre pour orchestre de Max Reger, qui donne le titre à l’album, et Schelomo pour violoncelle et orchestre d’Ernest Bloch. L’idée était de commencer un triptyque autour de la peinture sur trois enregistrements. Pour Bach & Friends, je ne voyais pas l’intérêt d’enregistrer une énième version des Suites pour violoncelle de Bach seules. J’ai donc eu envie de tresser un programme qui intercale une pièce moderne ou contemporaine entre chaque mouvement des 1re et 3e Suites. Pour en souligner les influences ou les héritages, en questionner les parentés. C’est un travail passionnant de recherche et de mise en miroir. Vous avez été invitée comme artiste en résidence pendant trois ans par l’OCG. Que représente cette nouvelle activité dans votre carrière jeune mais déjà bouillonnante? C’est une formidable occasion de pouvoir jouer régulièrement avec un orchestre professionnel et de se sentir soutenue par ses musiciens et son directeur musical dans des conditions optimales. L’assurance d’un concert annuel de soirée pendant trois saisons, avec de grands chefs, au Victoria Hall notamment, représente une grande chance. Pour l’OCG, c’est aussi une façon de mettre en pratique une activité courante en Allemagne par exemple. Défendre de jeunes talents sur le long terme représente un véritable engagement. Discuter, composer et présenter ensemble des programmes, susciter des commandes et des créations, défendre un répertoire métissé, et participer à des rendez-vous avec les enfants ou les familles est vraiment très stimulant.
Vous êtes aussi, depuis cette année, professeure à la HEM Kalaidos de Zurich. Quelle impression cela procure-t-il d’enseigner si jeune à des étudiants? Personnellement, je me sens en harmonie et en équilibre entre deux pôles. Les grandes figures de cette école semi-privée portent le sceau de l’excellence. Débattre de réalités musicales, artistique, stylistique ou technique, avec des musiciens comme Natalia Gutman, Julius Berger ou Zakhar Bron est passionnant. Et je me sens très proche des jeunes instrumentistes à qui je peux transmettre un vécu récent. Par exemple, pour le Concerto de Schumann que tous estiment très difficile à retenir, j’ai personnellement conçu une sorte de Memory où j’ai nommé pratiquement chaque phrase musicale sur une carte. Je les mélangeais toutes et les tirais au hasard pour les jouer de mémoire. Je réutilise ce système avec mes élèves et ça marche plutôt bien…
D’où vous viennent ce tempérament volontaire et cette capacité d’en découdre avec le répertoire comme avec les êtres? Probablement d’une famille (valaisanne) où le débat était très animé et nourrissant, et les choix de vie très assumés. Mon père, chercheur en littérature classique, nous a tous emmenés à Paris où il a été appelé à travailler, avant de revenir en Suisse diriger les Collèges de Budé et de Saussure. Ma mère était soprano et a privilégié sa vie de famille. Mon frère cadet étudie la mécanique des fluides à l’EPFL. Mais, surtout, choisir de rester seule à Paris à 15 ans pour y faire mes études musicales, dans un système très élitaire et compétitif, a développé chez moi une grande force intérieure. Il m’aura fallu beaucoup de volonté, de responsabilité et d’endurance pour mener de front ma scolarité par correspondance, mes études musicales et toutes les obligations administratives quotidiennes dont je n’avais aucune idée. Une grosse traversée en solitaire de dix années.
▅