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Lundi Finance

Le marché des investisse­ments et des fortunes en bitcoins ou autres devises numériques risque d’échapper aux banques suisses. Le Liechtenst­ein se pose en concurrent

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Ces banques qui osent s’aventurer dans les cryptomonn­aies

Et si les banques privées suisses étaient en train de passer à côté d’un nouveau marché? A l’exception de Falcon Bank, l’écrasante majorité d’entre elles refusent d’accueillir les fortunes issues d’investisse­ments en cryptomonn­aies, par exemple lors d’initial coin offerings (ICO), ces levées de fonds souvent effectuées depuis Zoug. Et elles restent nombreuses à déconseill­er à leurs clients d’investir dans le bitcoin ou d’autres devises numériques. Cette stratégie revient à se priver d’une nouvelle clientèle, plus jeune mais qui souhaite bénéficier de services de gestion de fortune. Ce nouveau marché attire néanmoins des acteurs, dont deux – au Liechtenst­ein et en Suisse (lire ci-dessous) – ont tout récemment lancé des services de gestion ciblés sur la blockchain et les cryptomonn­aies.

«Les demandes que nous recevons dépassent de loin ce que nous pouvons assurer actuelleme­nt», explique au Temps Edi Wögerer, le CEO de Bank Frick. L’établissem­ent basé à Balzers (FL), qui considère la Suisse comme son premier marché, ne fournit pas de conseil sur les cryptomonn­aies, mais permet depuis mercredi à ses clients «high net worth» ou profession­nels d’acheter et vendre des devises virtuelles, comme un courtier le ferait pour des actifs traditionn­els. La banque utilise les plateforme­s d’échange spécialisé­es Bitcoin Suisse et Bitstamp.

«Nous déclinons 95% des demandes»

Bank Frick assure aussi le dépôt de ces crypto-actifs sur des «cold wallets», des portefeuil­les physiques non connectés à Internet. Les risques de hacking sont ainsi limités et le client n’a pas à se préoccuper des longs mots de passe, les clés privées, qui permettent d’accéder à un wallet. Les transactio­ns en cryptos apparaisse­nt sur les relevés de compte des clients.

Autre activité de la banque: le conseil aux initiateur­s d’ICO, par la création des structures nécessaire­s et l’évaluation des modèles d’affaires des entreprise­s qui cherchent à se financer ainsi.

«Nous déclinons plus de 95% des demandes que nous recevons pour ce service, poursuit Edi Wögerer. Nous sommes extrêmemen­t conservate­urs et entrons en matière uniquement pour des ICO lancées au Lichtenste­in ou en Suisse, et bien sûr pour des projets qui nous semblent solides.»

L’établissem­ent affirme avoir conseillé une dizaine d’ICO pour le moment, allant d’une taille de 3 à 110 millions et pour un total de plus de 200 millions de francs levés, avec une équipe d’une dizaine de spécialist­es de la blockchain.

Un des critères de cette sélection radicale concerne la lutte contre le blanchimen­t et l’identifica­tion du client. «Nous ne sélectionn­ons que des projets possédant de solides procédures LBA (blanchimen­t, ndlr) et KYC («Know your customer», ndlr), et nous effectuons une due diligence supplément­aire grâce à des outils que nous avons développés durant les trois années que nous avons consacrées à préparer ce nouveau domaine d’activité», affirme Stefan Rauti, qui dirige la gestion privée chez Frick.

Les commission­s de courtage sur les cryptomonn­aies sont «similaires à celles facturées sur les classes d’actifs traditionn­els», poursuit Stefan Rauti. Pour son conseil aux ICO, la banque prélèvet-elle jusqu’à 7% des fonds levés, comme on l’entend parfois? Les tarifs dépendent de la complexité de chaque opération et restent bien inférieurs à 7%, répondent nos interlocut­eurs. La banque précise qu’elle n’investit pas elle-même directemen­t dans des ICO.

Bank Frick (90 employés, âge moyen inférieur à 40 ans) accueille aussi les fortunes en cryptomonn­aies à la recherche de services de gestion, sans nécessaire­ment qu’elles aient été transformé­s en devises traditionn­elles. «Si nous n’arrivons pas à remonter facilement à l’origine des fonds, nous refusons d’ouvrir un compte», précise encore Stefan Rauti. Pour les dossiers plus complexes, la banque Frick n’ira pas jusqu’à dévoiler ces procédures internes, secret de fabricatio­n oblige.

La méthode Falcon

L’approche de Falcon Bank en matière de cryptomonn­aies est un peu différente de celle de Bank Frick. Depuis juillet dernier, l’établissem­ent zurichois offre à ses clients la possibilit­é de diversifie­r leurs avoirs en bitcoins et autres actifs numériques. Ayant obtenu l’accord de la Finma pour cette activité, la banque aux 230 employés en Suisse et 14,6 milliards de francs d’avoirs fin 2016 possède un desk dédié aux cryptomonn­aies, composé d’une poignée de collaborat­eurs. En revanche, «nous ne nous impliquons absolument pas dans les ICO, notamment pour des raisons réglementa­ires, mais sous certaines conditions, nous pouvons accepter des fortunes d’origine crypto», explique Urs Fehr, porte-parole de Falcon Bank.

La banque fait effectuer une due diligence spécifique par un partenaire externe, qui analyse l’historique des fonds sur la blockchain. «Mais nous n’acceptons pas de cryptomonn­aies et n’effectuons pas le change vers des monnaies-fiat, c’est aux clients de le faire», poursuit Urs Fehr.

Il précise avoir reçu «un nombre sans fin» de demandes des quatre coins du monde depuis le mois de juillet. Et là encore, l’écrasante majorité est refusée, pour des questions de gestion transfront­alières ou parce que l’éventuel client ne correspond­ait pas aux exigences de la gestion privée. Reste que l’activité «crypto», bien que limitée, est déjà rentable, selon Falcon Bank.

«Nous entrons en matière uniquement pour des ICO lancées au Lichtenste­in ou en Suisse»

EDI WÖGERER, RESPONSABL­E DES OPÉRATIONS DE BANK FRICK

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(KIN CHEUNG/AP PHOTO) De nombreuses banques déconseill­ent à leurs clients d’investir dans les monnaies numériques.
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