Lundi Finance
Le marché des investissements et des fortunes en bitcoins ou autres devises numériques risque d’échapper aux banques suisses. Le Liechtenstein se pose en concurrent
Ces banques qui osent s’aventurer dans les cryptomonnaies
Et si les banques privées suisses étaient en train de passer à côté d’un nouveau marché? A l’exception de Falcon Bank, l’écrasante majorité d’entre elles refusent d’accueillir les fortunes issues d’investissements en cryptomonnaies, par exemple lors d’initial coin offerings (ICO), ces levées de fonds souvent effectuées depuis Zoug. Et elles restent nombreuses à déconseiller à leurs clients d’investir dans le bitcoin ou d’autres devises numériques. Cette stratégie revient à se priver d’une nouvelle clientèle, plus jeune mais qui souhaite bénéficier de services de gestion de fortune. Ce nouveau marché attire néanmoins des acteurs, dont deux – au Liechtenstein et en Suisse (lire ci-dessous) – ont tout récemment lancé des services de gestion ciblés sur la blockchain et les cryptomonnaies.
«Les demandes que nous recevons dépassent de loin ce que nous pouvons assurer actuellement», explique au Temps Edi Wögerer, le CEO de Bank Frick. L’établissement basé à Balzers (FL), qui considère la Suisse comme son premier marché, ne fournit pas de conseil sur les cryptomonnaies, mais permet depuis mercredi à ses clients «high net worth» ou professionnels d’acheter et vendre des devises virtuelles, comme un courtier le ferait pour des actifs traditionnels. La banque utilise les plateformes d’échange spécialisées Bitcoin Suisse et Bitstamp.
«Nous déclinons 95% des demandes»
Bank Frick assure aussi le dépôt de ces crypto-actifs sur des «cold wallets», des portefeuilles physiques non connectés à Internet. Les risques de hacking sont ainsi limités et le client n’a pas à se préoccuper des longs mots de passe, les clés privées, qui permettent d’accéder à un wallet. Les transactions en cryptos apparaissent sur les relevés de compte des clients.
Autre activité de la banque: le conseil aux initiateurs d’ICO, par la création des structures nécessaires et l’évaluation des modèles d’affaires des entreprises qui cherchent à se financer ainsi.
«Nous déclinons plus de 95% des demandes que nous recevons pour ce service, poursuit Edi Wögerer. Nous sommes extrêmement conservateurs et entrons en matière uniquement pour des ICO lancées au Lichtenstein ou en Suisse, et bien sûr pour des projets qui nous semblent solides.»
L’établissement affirme avoir conseillé une dizaine d’ICO pour le moment, allant d’une taille de 3 à 110 millions et pour un total de plus de 200 millions de francs levés, avec une équipe d’une dizaine de spécialistes de la blockchain.
Un des critères de cette sélection radicale concerne la lutte contre le blanchiment et l’identification du client. «Nous ne sélectionnons que des projets possédant de solides procédures LBA (blanchiment, ndlr) et KYC («Know your customer», ndlr), et nous effectuons une due diligence supplémentaire grâce à des outils que nous avons développés durant les trois années que nous avons consacrées à préparer ce nouveau domaine d’activité», affirme Stefan Rauti, qui dirige la gestion privée chez Frick.
Les commissions de courtage sur les cryptomonnaies sont «similaires à celles facturées sur les classes d’actifs traditionnels», poursuit Stefan Rauti. Pour son conseil aux ICO, la banque prélèvet-elle jusqu’à 7% des fonds levés, comme on l’entend parfois? Les tarifs dépendent de la complexité de chaque opération et restent bien inférieurs à 7%, répondent nos interlocuteurs. La banque précise qu’elle n’investit pas elle-même directement dans des ICO.
Bank Frick (90 employés, âge moyen inférieur à 40 ans) accueille aussi les fortunes en cryptomonnaies à la recherche de services de gestion, sans nécessairement qu’elles aient été transformés en devises traditionnelles. «Si nous n’arrivons pas à remonter facilement à l’origine des fonds, nous refusons d’ouvrir un compte», précise encore Stefan Rauti. Pour les dossiers plus complexes, la banque Frick n’ira pas jusqu’à dévoiler ces procédures internes, secret de fabrication oblige.
La méthode Falcon
L’approche de Falcon Bank en matière de cryptomonnaies est un peu différente de celle de Bank Frick. Depuis juillet dernier, l’établissement zurichois offre à ses clients la possibilité de diversifier leurs avoirs en bitcoins et autres actifs numériques. Ayant obtenu l’accord de la Finma pour cette activité, la banque aux 230 employés en Suisse et 14,6 milliards de francs d’avoirs fin 2016 possède un desk dédié aux cryptomonnaies, composé d’une poignée de collaborateurs. En revanche, «nous ne nous impliquons absolument pas dans les ICO, notamment pour des raisons réglementaires, mais sous certaines conditions, nous pouvons accepter des fortunes d’origine crypto», explique Urs Fehr, porte-parole de Falcon Bank.
La banque fait effectuer une due diligence spécifique par un partenaire externe, qui analyse l’historique des fonds sur la blockchain. «Mais nous n’acceptons pas de cryptomonnaies et n’effectuons pas le change vers des monnaies-fiat, c’est aux clients de le faire», poursuit Urs Fehr.
Il précise avoir reçu «un nombre sans fin» de demandes des quatre coins du monde depuis le mois de juillet. Et là encore, l’écrasante majorité est refusée, pour des questions de gestion transfrontalières ou parce que l’éventuel client ne correspondait pas aux exigences de la gestion privée. Reste que l’activité «crypto», bien que limitée, est déjà rentable, selon Falcon Bank.
▅
«Nous entrons en matière uniquement pour des ICO lancées au Lichtenstein ou en Suisse»
EDI WÖGERER, RESPONSABLE DES OPÉRATIONS DE BANK FRICK