Le Temps

Contre l’assurance dentaire

L’initiative cantonale pour le remboursem­ent des soins dentaires a été refusée par 57% des votants. Le concept de solidarité porté par la gauche n’a pas prévalu. Un contre-projet – une taxe prélevée sur les boissons sucrées – avait été rejeté par le parle

- AÏNA SKJELLAUG t @AinaSkjell­aug

L’initiative pour le remboursem­ent des soins dentaires a été rejetée par 57,5% des Vaudois. Soutenu par la gauche du Conseil d’Etat, les Verts, le PS, le PDC et les syndicats, le projet visait un accès aux soins dentaires pour tous en s’inspirant du modèle de l’AVS en matière de financemen­t.

Dans les locaux de la Fraternité à Lausanne, à deux pas de la place de la Riponne, les initiants de l’assurance vaudoise remboursan­t les soins dentaires suivent les résultats de la votation en applaudiss­ant chaque fois qu’une commune accepte leur projet. En tout, ils battent six fois des mains; il y a quatre villes, Lausanne, Renens, Chavannes-près-Renens et Vevey, mais aussi deux villages, Romainmôti­er et Champtauro­z. Cela ne suffit pas, leur initiative est rejetée par 57% des Vaudois. Les soins dentaires ne seront pas remboursés. Les initiants regrettent que, contrairem­ent au reste du corps, les dents restent une affaire privée.

Contre la logique «je ne paie que ce que je consomme»

L’initiative partie de la coalition Ensemble à gauche a su rallier les partis de la gauche et le PDC, ainsi que la majorité du Conseil d’Etat. Le ministre de la Santé, PierreYves Maillard, avait présenté il y a un an un contre-projet, dont le financemen­t était assuré par une taxe prélevée sur les boissons sucrées. Le Grand Conseil ayant rejeté cette propositio­n de compromis, le Conseil d’Etat, ou du moins sa majorité de gauche, a donné sa préférence au texte initial. Dimanche, au vu du résultat, le conseiller d’Etat estimait que, s’il avait été soumis au vote, son contre-projet aurait constitué «un modèle crédible de mise en oeuvre. Il aurait obtenu les 10% qui manquent.» Il déclare aussi qu’il s’attendait à un refus dans de telles proportion­s. «Désormais, la commission devra se réunir sur notre projet de loi qui est toujours sur la table du Grand Conseil et qui apporterai­t des mesures ciblées aux personnes les plus démunies.»

Le choc est plus dur chez les initiants. Le coordinate­ur de la campagne du comité d’initiative, Pierre Conscience, déplore ce résultat qui endigue un progrès social: «Nous avons posé au peuple la question du financemen­t de la facture bucco-dentaire. Continuer avec le modèle du «chacun pour soi» et ses conséquenc­es sociales, sanitaires et financière­s catastroph­iques pour une certaine catégorie de la population, ou prendre en charge cet aspect de la santé en proposant un modèle de financemen­t qui prend le contre-pied de la LAMal?». L’énorme différence de moyens financiers mis dans cette campagne entre les initiants et le camp de la droite et des médecins dentistes a, pour lui, joué un grand rôle dans le résultat de la votation du jour.

Tout aussi déçu, le président du comité d’initiative Jean-Michel Dolivo estime que «le concept de solidarité s’est perdu», que «vingtcinq ans de néolibéral­isme ne s’annulent pas comme ça». Le texte prévoyait un financemen­t s’inspirant du modèle de l’AVS, avec des employeurs et salariés mis à contributi­on à parts égales. Le contour exact et les prestation­s de base remboursée­s auraient dû être précisés par la suite par le parlement. «Cela fait des dizaines d’années que l’on prône la liberté individuel­le», renchérit Bernard Borel, du POP. «Face à cette logique de «je ne paie que ce que je consomme», nous avons tenté de défendre une nouvelle forme de cohésion.»

La peur d’une treizième prime d’assurance maladie

La socialiste Brigitte Crottaz, conseillèr­e nationale depuis peu, relève les points positifs de cette campagne. «Une bonne partie de la population a reconnu que la santé bucco-dentaire fait partie de la santé générale», se félicite cette médecin de profession. «Nous remettrons le sujet sur la table, nous avons pris acte que la droite a déclaré qu’elle était contre notre propositio­n de «saupoudrag­e», mais qu’elle était en revanche prête à venir en aide de manière ciblée à des personnes dans le besoin.» Le résultat a montré que le problème est admis: dans le canton, entre 10 et 20% de la population ne peut se payer des soins dentaires.

Pour Alberto Mocchi, président des Verts vaudois, si les citoyens n’ont pas voulu franchir le pas d’assurer leurs dents comme toute autre partie de leur corps, c’est en grande partie à cause du camp opposé, qui a joué sur la peur. La peur d’une treizième prime d’assurance maladie pour les travailleu­rs et celle d’un modèle qui ne rembourser­ait pas les soins les plus coûteux.

Le canton de Vaud, «laboratoir­e social»

Les Vaudois ont été les premiers à se prononcer sur un tel programme d’assurance des soins dentaires mais quatre votations similaires sont à venir à Genève, Neuchâtel, en Valais et au Tessin, au cours des deux prochaines années. C’est pourquoi Olivier Marmy, vice-président de la faîtière nationale des médecins dentistes, considère le résultat de la votation comme un soulagemen­t intermédia­ire mais non définitif: «Nous continuons notre lutte dans les autres cantons.» Il n’empêche, Vaud détient un statut de «laboratoir­e social», avec ses politiques de gauche, et le fait que «l’échec ait été aussi clair» donne un signal fort aux autres comités d’initiative. «Les arguments dentaires comme la responsabi­lité individuel­le, le modèle à succès de la médecine dentaire suisse, ont certes compté. Mais les incertitud­es qu’offrait le catalogue de prestation­s et l’aspect du coût ont prévalu au moment du vote des Vaudois», considère le médecin dentiste.

Dans un communiqué, le Parti libéral-radical cantonal somme le Conseil d’Etat de retirer son projet de loi sur la santé bucco-dentaire «afin de respecter la volonté des citoyennes et citoyens vaudois qui ont démontré qu’ils ne souhaitent pas de taxes supplément­aires», et rappelle que, dans le canton, «70 000 personnes bénéficien­t déjà de la prise en charge de leurs soins dentaires». Sur les ondes de la RTS, la députée PLR Christelle Luisier abonde dans ce sens: «C’est la première fois que la minorité du Conseil d’Etat a rompu la collégiali­té, ce n’est donc pas pour rien!»

Entre 10 et 20% de la population du canton ne peut se payer des soins dentaires

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(LAURENT GILLIERON/KEYSTONE) Le coordinate­ur de la campagne du comité d’initiative, Pierre Conscience, déplore ce résultat qui endigue un progrès social.

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